vendredi 19 avril 2013

Art & liberté : une dissertation


Art et Liberté : exemple de commentaire
Questions préalables en introduction :

  • L’art peut-il avoir la liberté de tout traiter, de tout montrer, de tout exprimer ?
  • L’artiste est souvent dépendant des finances des collectionneurs ou des commandes du pouvoir politique ! Concrètement, l’artiste est-il libre ?
  • Si tous les hommes sont libres, est-ce que l’artiste est moins libre que les autres ?
  • L’artiste peut-il exprimer sa liberté à travers un langage artistique ?


1. Le statut des artistes dans la société

1.1. La critique de Platon et  l’encouragement d’Aristote à tout connaître

Selon Platon, l’artiste peut imiter toutes les choses, et donner l’illusion que les choses imitées sont présentes. Seulement, l’imitation porte sur une petite partie de la chose. L’art détourne de la véritable imitation qui est imitation de l’Idée. L’art encourage l’ignorance.

L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai, et, s'il peut tout exécuter, c'est, semble-t-il, qu'il ne touche qu'une petite partie de chaque chose, et cette partie n'est qu'un fantôme. Nous pouvons dire, par exemple, que le peintre nous peindra un cordonnier, un charpentier ou tout autre artisan, sans connaître le métier de chacun d'eux.

Par contre Aristote, en reprenant la notion d’imitation, en fait une activité essentielle de la nature humaine et à la connaissance de toute chose. L’imitation serait une forme d’acquisition de connaissance qui donne du plaisir.

Le fait d'imiter est inhérent à la nature humaine dès l'enfance; et ce qui fait différer l'homme d'avec les autres animaux, c'est qu'il en est le plus enclin à l'imitation : les premières connaissances qu'il acquiert, il les doit à l'imitation, et tout le monde goûte les imitations.

L’imitation nous permet d’accepter des réalités déplaisantes, puis de les connaître.

La preuve en est dans ce qui arrive à propos des oeuvres artistiques ; car les mêmes choses que nous voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation, telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des cadavres.

L’imitation permettrait la manifestation  du plaisir d’apprendre, et susciterait l’envie d’apprendre.

.. le fait d'apprendre est tout ce qu'il y a de plus agréable non seulement pour les philosophes, mais encore tout autant pour les autres hommes ;


Comme la connaissance porte sur la totalité des choses, l’imitation porte sur tout ce qu’il y a à connaître. Cependant, comme l’imitation donne du plaisir, il est possible d’orienter la connaissance sur tel ou tel domaine.

L’artiste, pour Aristote, devient responsable des choix de ses imitations. Tout peut être imité, mais des priorités s’imposent d’acquisition de connaissances. L’artiste est également, à suivre Platon, responsable du peu de connaissance qu’il apporte, en se contentant de faire illusion du vrai.

Pour Platon, c’est lorsque l’imitation devient production de  la chose que la connaissance est complète, car la connaissance devient complète lorsqu’elle est connaissance des Idées.

Pour les grecs, l’art ouvre un droit et un plaisir : la liberté de tout connaître et de prendre du plaisir à la rencontre du vrai. Cependant pour Platon, la priorité donnée aux Idées, aboutit à une hiérarchie entre les choses produites. Le lit de l’artisan est plus chargé de connaissance que l’image du lit faite par l’artiste.


  1. 2 L’art comme expression des priorités du Pouvoir symbolique religieux, politique,   ou économique

Les œuvres d’art se mettent au service des priorités du pouvoir, et produisent des choses qui donnent une présence aux valeurs. C’est une expression matérielle.

L’art au service ..

- du pouvoir symbolique : les masques rendent présent les Dieux

- de la religion : les églises et les peintures rendent présent la vierge et le christ

- de la politique : la Joconde exprime le changement culturel à la Renaissance ; les peintures et les opéras maoïstes expriment les valeurs de la Révolution culturelle. Les statues des grands hommes expriment les valeurs de la République  française.

- de l’économie : la peinture hollandaise exprime les valeurs des négociants ; l’art moderne devient un moyen de valorisation des « puissants actuels »

Transition

L’artiste ouvre donc des espaces de liberté, mais n’est pas libre pour lui-même. Il est amené à se censurer pour pratiquer son art. Y-a-t-il un espace où l’artiste est libre ?


2. L’artiste est-il libre ?

2.1 De quelle nature est la capacité créative de l’artiste ?

Pour Platon, le poète exerce sa capacité à chanter lorsqu’il renonce à la raison pour être inspiré par un Dieu, ou comme on dit par la Muse

C'est chose légère que le poète, ailée, sacrée ; il n'est pas en état de créer avant d'être inspiré par un dieu, hors de lui, et de n'avoir plus son esprit en lui-même ; tant qu'il garde la faculté de raison, tout être humain est incapable de faire œuvre poétique et de chanter des oracles.

L’espace de liberté de l’artiste est donc restreint à un espace divin et plus particulièrement à l’espace d’un seul Dieu. Cette restriction s’exprime par la spécialisation dans la maîtrise d’un genre.

.. chacun d'eux n'est capable de composer avec succès que dans le genre où il est poussé par la Muse : l'un dans les dithyrambes,  l'autre dans les éloges ; celui-ci dans les hyporchèmes, celui-là dans l'épopée  ; tel autre dans les iambes ; dans le reste, chacun d'eux est médiocre. Car ce n'est point par l'effet d'un art qu'ils par­lent ainsi, mais par un privilège divin ..

Et tous ces genres relèvent de la seule poésie. Platon refuse alors de considérer la maîtrise d’un genre comme un art.

.. s'ils savaient, en vertu d'un art, bien parler sur un sujet, ils le sauraient aussi pour tous les autres.

Aristote note également l’importance des genres, mais selon lui, chaque genre est lié à la relation entre l’objet imité et le caractère du poète. Comme l’imitation est une faculté naturelle, le genre dépend du caractère naturel de l’artiste. La transformation des genres s’est faite par progressions successives, où une imitation imite une imitation antérieure. Le genre se définit progressivement dans un approfondissement de la relation entre l’objet imité et le caractère de l’imitateur. C’est une création par auto-réflexion.

Comme le fait d'imiter, ainsi que l'harmonie et le rythme, sont dans notre nature (je ne parle pas des mètres qui sont, évidemment, des parties des rythmes), dès le principe, les hommes qui avaient le plus d'aptitude naturelle pour ces choses ont, par une lente progression, donné naissance à la poésie, en commençant par des improvisations.
La poésie s'est partagée en diverses branches, suivant la nature morale propre à chaque poète. Ceux qui étaient plus graves imitaient les belles actions et celles des gens d'un beau caractère; ceux qui étaient plus vulgaires, les actions des hommes inférieurs, lançant sur eux le blâme comme les autres célébraient leurs héros par des hymnes et des éloges.

Nous sommes en mesure de considérer comme identique la relation au genre chez Platon et chez Aristote. Chez Platon, la relation du poète à son Dieu peut  s’analyser comme un rapport d’imitation. Chaque poète chante comme chante son Dieu.

Le poète, l’artiste en général, seraient-ils contraint par leur genre ? Seraient-ils absolument dépendant du rapport réflexif du genre par rapport à lui-même ?  Cela aurait pour conséquence de refuser tout droit de l’artiste à être libre.

2.2 L’artiste comme médiateur de la Nature

Kant propose une alternative. Certains artistes seraient plus libres que d’autres. Ces artistes-là, Kant les nomme comme « Génie ». Cette liberté consiste à inventer des règles originales.

Le génie est le talent de produire ce dont on ne peut donner de règle déterminée par conséquent l'originalité est sa première qualité.

Les autres artistes ne seraient que d’habiles artisans, qui appliquent une règle inventée par l’artiste génial.

l'habileté qu'on peut montrer en faisant ce qu'on peut apprendre suivant une règle

Cependant la liberté que possède le Génie à créer des règles n’est pas du registre de la connaissance. Le Génie ne sait pas  ce qu’il fait, au sens d’une connaissance consciente, d’une conscience qui accompagne la connaissance.

il … ne sait pas lui-même comment les idées s'en trouvent en lui;

Kant reprend à Platon la notion d’inspiration et à Aristote la notion de Nature donnée à la naissance. C’est la Nature qui guide l’artiste.

il donne la règle par une inspiration de la nature …étant redevable à son génie, qui signifie l'esprit particulier qui a été donné à un homme à sa naissance, qui le protège, le dirige et lui inspire des idées originales


Conclusion

Il apparaît que dans ce parcours historique – Platon, Aristote, Kant - l’artiste n’est pas considéré comme un être libre.

L’artiste est celui qui donne aux autres une capacité de liberté, alors que lui-même, il est assujetti à un Dieu ou à un caractère donné par la Nature. L’artiste n’est qu’un médiateur. Soit, il est le médiateur d’un Dieu, soit il est médiateur de la Nature.

La question est ouverte : comment les artistes peuvent-ils se donner une capacité de liberté ?

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