Art
et Liberté : exemple de commentaire
Les textes commentés sont sur Extraits de textes de Platon, Aristote, Kant, Heidegger, Sartre, Bachelard,
Questions préalables en introduction :
- L’art peut-il avoir la liberté de tout traiter, de tout montrer, de tout exprimer ?
- L’artiste est souvent dépendant des finances des collectionneurs ou des commandes du pouvoir politique ! Concrètement, l’artiste est-il libre ?
- Si tous les hommes sont libres, est-ce que l’artiste est moins libre que les autres ?
- L’artiste peut-il exprimer sa liberté à travers un langage artistique ?
1. Le
statut des artistes dans la société
1.1. La critique de Platon et l’encouragement d’Aristote à tout connaître
Selon Platon, l’artiste peut imiter toutes les
choses, et donner l’illusion que les choses imitées sont présentes. Seulement,
l’imitation porte sur une petite partie de la chose. L’art détourne de la
véritable imitation qui est imitation de l’Idée. L’art encourage l’ignorance.
L'art d'imiter est donc bien éloigné du vrai,
et, s'il peut tout exécuter, c'est, semble-t-il, qu'il ne touche qu'une petite
partie de chaque chose, et cette partie n'est qu'un fantôme. Nous pouvons dire,
par exemple, que le peintre nous peindra un cordonnier, un charpentier ou tout
autre artisan, sans connaître le métier de chacun d'eux.
Par contre Aristote, en reprenant la notion
d’imitation, en fait une activité essentielle de la nature humaine et à la
connaissance de toute chose. L’imitation serait une forme d’acquisition de
connaissance qui donne du plaisir.
Le fait d'imiter est inhérent à la nature humaine dès l'enfance; et ce qui fait différer l'homme d'avec les autres animaux, c'est qu'il en est le plus enclin à l'imitation : les premières connaissances qu'il acquiert, il les doit à l'imitation, et tout le monde goûte les imitations.
L’imitation nous permet d’accepter des
réalités déplaisantes, puis de les connaître.
La preuve en est dans
ce qui arrive à propos des oeuvres artistiques ; car les mêmes choses que nous
voyons avec peine, nous nous plaisons à en contempler l'exacte représentation,
telles, par exemple, que les formes des bêtes les plus viles et celles des
cadavres.
L’imitation
permettrait la manifestation du plaisir
d’apprendre, et susciterait l’envie d’apprendre.
.. le fait d'apprendre est tout ce qu'il y a
de plus agréable non seulement pour les philosophes, mais encore tout autant
pour les autres hommes ;
Comme la connaissance porte sur la
totalité des choses, l’imitation porte sur tout ce qu’il y a à connaître. Cependant,
comme l’imitation donne du plaisir, il est possible d’orienter la connaissance
sur tel ou tel domaine.
L’artiste, pour Aristote, devient
responsable des choix de ses imitations. Tout peut être imité, mais des
priorités s’imposent d’acquisition de connaissances. L’artiste est également, à
suivre Platon, responsable du peu de connaissance qu’il apporte, en se
contentant de faire illusion du vrai.
Pour Platon, c’est lorsque l’imitation
devient production de la chose que la
connaissance est complète, car la connaissance devient complète lorsqu’elle est
connaissance des Idées.
Pour les grecs, l’art ouvre un
droit et un plaisir : la liberté de tout connaître et de prendre du
plaisir à la rencontre du vrai. Cependant pour Platon, la priorité donnée aux
Idées, aboutit à une hiérarchie entre les choses produites. Le lit de l’artisan
est plus chargé de connaissance que l’image du lit faite par l’artiste.
- 2
L’art comme expression des priorités du Pouvoir symbolique religieux, politique, ou économique
Les œuvres
d’art se mettent au service des priorités du pouvoir, et produisent des choses
qui donnent une présence aux valeurs. C’est une expression matérielle.
L’art au
service ..
- du pouvoir
symbolique : les masques rendent présent les Dieux
- de la
religion : les églises et les peintures rendent présent la vierge et le
christ
- de la
politique : la Joconde exprime le changement culturel à la
Renaissance ; les peintures et les opéras maoïstes expriment les valeurs
de la Révolution culturelle. Les statues des grands hommes expriment les
valeurs de la République française.
- de
l’économie : la peinture hollandaise exprime les valeurs des
négociants ; l’art moderne devient un moyen de valorisation des
« puissants actuels »
Transition
L’artiste
ouvre donc des espaces de liberté, mais n’est pas libre pour lui-même. Il est
amené à se censurer pour pratiquer son art. Y-a-t-il un espace où l’artiste est
libre ?
2. L’artiste est-il libre ?
2.1 De quelle nature est la capacité créative
de l’artiste ?
Pour Platon,
le poète exerce sa capacité à chanter lorsqu’il renonce à la raison pour être
inspiré par un Dieu, ou comme on dit par la Muse
C'est chose légère que le poète, ailée, sacrée
; il n'est pas en état de créer avant d'être inspiré par un dieu, hors de lui,
et de n'avoir plus son esprit en lui-même ; tant qu'il garde la faculté de
raison, tout être humain est incapable de faire œuvre poétique et de chanter
des oracles.
L’espace de
liberté de l’artiste est donc restreint à un espace divin et plus
particulièrement à l’espace d’un seul Dieu. Cette restriction s’exprime par la
spécialisation dans la maîtrise d’un genre.
.. chacun d'eux n'est capable de composer
avec succès que dans le genre où il est poussé par la Muse : l'un dans les
dithyrambes, l'autre dans les éloges ; celui-ci dans les hyporchèmes,
celui-là dans l'épopée ; tel autre dans les iambes ; dans le reste,
chacun d'eux est médiocre. Car ce n'est point par l'effet d'un art qu'ils
parlent ainsi, mais par un privilège divin ..
Et tous ces
genres relèvent de la seule poésie. Platon refuse alors de considérer la
maîtrise d’un genre comme un art.
..
s'ils savaient, en vertu d'un art, bien parler sur un sujet, ils le sauraient
aussi pour tous les autres.
Aristote
note également l’importance des genres, mais selon lui, chaque genre est lié à la
relation entre l’objet imité et le caractère du poète. Comme l’imitation est
une faculté naturelle, le genre dépend du caractère naturel de l’artiste. La
transformation des genres s’est faite par progressions successives, où une
imitation imite une imitation antérieure. Le genre se définit progressivement
dans un approfondissement de la relation entre l’objet imité et le caractère de
l’imitateur. C’est une création par auto-réflexion.
Comme le fait d'imiter, ainsi que l'harmonie et le rythme, sont dans notre nature (je ne parle pas des mètres qui sont, évidemment, des parties des rythmes), dès le principe, les hommes qui avaient le plus d'aptitude naturelle pour ces choses ont, par une lente progression, donné naissance à la poésie, en commençant par des improvisations.
La
poésie s'est partagée en diverses branches, suivant la nature morale propre à
chaque poète. Ceux qui étaient plus graves imitaient les belles actions et
celles des gens d'un beau caractère; ceux qui étaient plus vulgaires, les
actions des hommes inférieurs, lançant sur eux le blâme comme les autres
célébraient leurs héros par des hymnes et des éloges.
Nous sommes
en mesure de considérer comme identique la relation au genre chez Platon et
chez Aristote. Chez Platon, la relation du poète à son Dieu peut s’analyser comme un rapport d’imitation. Chaque
poète chante comme chante son Dieu.
Le poète,
l’artiste en général, seraient-ils contraint par leur genre ? Seraient-ils
absolument dépendant du rapport réflexif du genre par rapport à
lui-même ? Cela aurait pour
conséquence de refuser tout droit de l’artiste à être libre.
2.2 L’artiste comme médiateur de la Nature
Kant propose
une alternative. Certains artistes seraient plus libres que d’autres. Ces
artistes-là, Kant les nomme comme « Génie ». Cette liberté consiste à
inventer des règles originales.
Le génie est le talent de produire ce dont on
ne peut donner de règle déterminée par conséquent l'originalité est sa première
qualité.
Les autres
artistes ne seraient que d’habiles artisans, qui appliquent une règle inventée
par l’artiste génial.
l'habileté
qu'on peut montrer en faisant ce qu'on peut apprendre suivant une règle
Cependant la
liberté que possède le Génie à créer des règles n’est pas du registre de la
connaissance. Le Génie ne sait pas ce
qu’il fait, au sens d’une connaissance consciente, d’une conscience qui
accompagne la connaissance.
il … ne sait pas lui-même comment les idées
s'en trouvent en lui;
Kant reprend
à Platon la notion d’inspiration et à Aristote la notion de Nature donnée à la
naissance. C’est la Nature qui guide l’artiste.
il donne la règle par une inspiration de la
nature …étant redevable à son génie, qui signifie l'esprit particulier qui a
été donné à un homme à sa naissance, qui le protège, le dirige et lui inspire
des idées originales
Conclusion
Il apparaît
que dans ce parcours historique – Platon, Aristote, Kant - l’artiste n’est pas
considéré comme un être libre.
L’artiste est
celui qui donne aux autres une capacité de liberté, alors que lui-même, il est
assujetti à un Dieu ou à un caractère donné par la Nature. L’artiste n’est
qu’un médiateur. Soit, il est le médiateur d’un Dieu, soit il est médiateur de
la Nature.
La question
est ouverte : comment les artistes peuvent-ils se donner une capacité de liberté ?
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