lundi 12 octobre 2009

A Paris, le secret dévoilé de Mark Rothko

Au 5 cité Riverin à Paris (10ème), il est possible de voir jusqu'à fin octobre 2009 des tableaux de l'étape jusqu'ici méconnue qui a précédé les tableaux dits "classiques" de Mark Rothko.

Nous connaissons tous les surfaces colorées vibrantes, expansives, nuageuses, entrelacées qui ont rendues Mark Rothko célèbre. Par exemple, celle-ci :

 Mark Rothko, Rust and Blue. 1953, Los Angeles, The Museum of Contemporary Art, The Panza Collection.

Maintenons, considérons le point de départ d'un chemin qui mènerait à ces surfaces : des figures humaines disposées horizontalement les unes à coté des autres,  via des espaces verticaux rectangulaires. Les personnes y apparaissent comme des "bâtons rigides", rigidité s'expliquant par les contraintes d'un espace social. Par exemple, dans l'espace du métro, nous avons l'exemple de ces personnes bâtons, qui évoquent des insectes filiformes :

 Mark Rothko, Underground ,Fantasy [Subway],c. 1940, National Gallery of Art Gift of The Mark Rothko Foundation, Inc., 1986.43.130 

 Mark Rothko refusant de s'expliquer précisément, diverses supputations ont été faites sur son évolution vers de larges aplats colorés. Nous suggérons que la sortie de cet univers de contraintes sociales s'est faite via la thématique du "bâton magique". Nous savons l'importance du magique, du mythique, de l'énergie pour ce peintre.

Nous savons également que  Mark Rothko a enseigné l'expression picturale aux enfants. La première expression de l'enfant est le trait. L'enjeu pédagogique est d'aider l'enfant à transformer le trait en un aplat coloré. La phase intermédiaire est la figure du bâton qui permet d'élargir le trait, le gonfler, le nourrir d'énergie.

La personne-trait en devenant personne bâton transforme sa relation au monde : elle peut absorber de l'énergie, occuper pleinement son espace, et même déborder son espace pour rencontrer les autres personnes. Qui n'a pas utilisé dans son enfance de bâton ou de baguette magique ?

Voici un tableau présentant un premier état de ces personnes-bâtons :

Francis Raphaël Jacq / Colored sticks. 2007

Cette composition en bâtons expansifs - en énergies dynamiques - apparait comme "le chainon manquant" témoignant et expliquant l'évolution de Mark Rothko.

En effet, elle crée la possibilité de rencontres entre les personnes sans appauvrissements énergétiques mutuels.

Cette possibilité ne pouvait pas exister dans une composition par formes avec interactions directes.

Considérons les juxtapositions d'aplats colorés qui suivent : ce sont des rencontres par frottements qui sont la conséquence de simples expansions. La rencontre n'est une conséquence d' énergies sans finalités : chaque aplat s'étend avec sa logique propre.
 
 Mark Rothko. "Number 9".1948. National Gallery

L'enjeu réside alors dans la rencontre à distance : la rencontre se fait par vibration, entrelacement des énergies où chaque énergie préserve son vibrato propre (sa longueur d'onde) tout en acceptant les harmoniques induites par les vibratos des autres aplats.

Voici un tableau montant comment les bâtons deviennent des aplats vibratoires, des "rencontres sans rencontres" grâce à l'acceptation des vibrations envoyées par les bâtons environnants :

Francis Raphaël Jacq / Colored musics. 2007

Enfin la phase ultime est d'harmoniser les aplats colorés selon les vibrations harmoniques.

Entre les bâtons, les vibrations se développent horizontalement. Afin que les aplats se transforment complètement en rencontres harmoniques, il est nécessaire de les basculer dans l'horizontalité. Gagnant en puisance de figuration, les vibratos et leurs harmoniques doivent être réduits en nombre afin d'éviter la cacophonie.

Par exemple, en transformant les quatre bâtons précédents - bâtons horizontaux de couleurs contrastées - en trois aplats horizontaux, Mark Rothko crée un monde d'énergies en développement propre, aux rencontres mutuellement fructueuses et harmonieuses. Le tableau précédent se transforme par la suppression du bâton rose, tout en préservant son effet vibratoire sur le bâton noir, qui devient alors légèrement pourpre.


Par cette transformation à l'horizontale et l'abandon de la figure du bâton, le tableau change de nature : il devient espace où se cotoient trois peaux pulsatiles où se déployent en chacune les vibrations harmoniques induites par les deux autres peaux. Le tableau devient musique pure.

Pour découvrir le secret de Mark Rothko, je vous propose donc de venir regarder ces "mythiques tableaux  bâtons" ces jours-ci à Paris dans le showroom de la société Orythie.

Spécialisée dans les études d'accoustique et d'hydraulique, la société Orythie est un parrain bien trouvé pour l'exhibition du secret de Mark Rothko



Quelle est la modernité de ma démarche ?

Ma démarche artistique prend le contre pied de la tendance actuelle qui est l'accumulation sur un même support de différentes images, qui est l'addition sur un même support de plusieurs gestes de découper/coller. C'est la transposition au plan de l'art de notre ambiance contemporaine saturée par le souci de l'ordre, des rapports de force, de la "visibilité qui en impose".

Au contraire, "je m'efforce à un moins de force", "j'invite à une acceptation de l'entropie, du un-peu-plus-de-désordre". A coté d'une écologie des ressources, je propose une "écologie des images".

Aussi ma démarche est plutôt de prendre une image, d'ouvrir ses potentiels de forme et de couleur et laisser s'écouler, laisser se diffuser les formes et les couleurs.

Je suis philosophe de formation. La philosophie distingue entre l' Etant, constitué par les activités et les technologies, et l'Etre qui est une attitude de disponibilité à ce "moment de vie" où le sens devient ambigu, équivoque, hyperbolique. Le moment où dans les possibles connus, s'ouvre une fenêtre vers l'im-possible. C'est im-possible, et pourtant, j'y suis, j'y chemine.

Chacun de mes tableaux est un témoignage de mon cheminement dans l'im-possible.

Aucun commentaire: