lundi 6 février 2012

Les surréels de Rafael Gomez

Le choc !

Dans la rue Riverin où j'habite, un artisan des métaux, Rafael Gomez, mois après mois, développe une oeuvre artistique radicale. Face aux objets-sculptures, ce terme m'est venu brutalement : "ce sont des surréels !"

La bouteille acrobate. 2012

Pour une cohabitation pacifique de la forme et de l'énergie

Quel est mon mon ressenti ? Au sein de la bouteille habite une énergie. Et, à l'occasion d'un évènement, cette énergie se déploie.

La bouteille pourrait exploser. Par exemple, mettons une bouteille emplie d'eau dans un congélateur tout en laissant le bouchon : l'eau en se transformant en glace augmente de volume. la bouteille éclate.

Ici, la bouteille n'explose pas, car Rafael Gomez aménage des ouvertures régulières. Avec ces ouvertures, la bouteille pourrait se désarticuler. En compagnon attentif, Rafael Gomez fournit des tuteurs en métal.

Ces tuteurs se mettent au service de l'énergie, tout en préservant la forme de la bouteille. Entre la bouteille et l'énergie qui l'habite, l'intervention de Rafael Gomez amène une cohabitation non destructrice.

Rafael Gomez est né à Cuba, puis est venu en Europe à la demande d'une jeune femme amoureuse. Il n'est donc pas un exilé politique. Mais il propose, à travers les objets qu'il fabrique, une méthode du politique.

Nous avons besoin, pour vivre ensemble en société, de créativité collective - l'énergie - et d'institution pour cadrer et réguler - la forme. Sans énergie, la forme s'affaisse, se délite, se désagrège. Sans forme, l'énergie se disperse sur de multiples chemins.

La représentation de la temporalité 

Ce qui rare dans l'art, c'est la représentation du temps qui passe, c'est à dire les évènements qui ponctuent un espace de temps. Ici, dans cette bouteille, sept fois, l'énergie a explosé, sept fois la forme s'est scindé pour aménager une ouverture, sept fois, elle s'est ajoutée des tuteurs pour garder sa forme de bouteille.

Ce qui est réel : c'est la bouteille.

Ce qui, au sens propre, s'ajoutent à la bouteille, s'attachent sur la bouteille, ce sont les tuteurs. Dans un sens plus figuré, on peut dire que les ouvertures s'attachent sur la bouteille : elles ajoutent des espaces de vide. Tuteurs et ouvertures d'énergie viennent sur le réel de la bouteille. Ce sont des sur-réel.

Mais comme la bouteille n'est pas détruite, comme la bouteille gagne en visibilité de son être, comme à son espace elle ajoute le temps, elle se métamorphose en réalité augmentée, en surréel.

Au delà du sur-réalisme

"Surréels" ?  En quoi les surréels se distinguent-t-ils du surréalisme ?

Surréalisme : au delà du réalisme .. Le "réalisme" est une façon de penser le monde, notre rapport au monde. La réalité nous apparait comme des mesures de distance et de consistance par rapport à l'espace, au temps et à la malléabilité des corps.

Le sur-réalisme est une pensée qui s'introduit dans "la pensée réaliste", qui la déborde, qui la convulse. Pour André Breton, "la beauté sera convulsive ou ne sera pas".

La pensée réaliste devient telles ces possédées que Charcot donnait en spectacle.



Phase des contorsions, in Leçons du mardi de la Salpêtrière, policlinique 1887 – 1888 : notes de cours de MM Blin, Charcot et H. Colin. T 1. Paris, Bureaux du progrès médical, Louis Battaille, 1882. p. 72. Numérisation : Bibliothèque interuniversitaire de Médecine, Paris.


Phase des attitudes passionnelles, idem
Pour déborder la pensée réaliste et la convulser, différents procédés sont utilisés :
  • l'obscurité qui fait perdre le sens des distances et des résistances
  • l'automaticité du procédé qui agit à la façon des mailles d'un filet, attrapant sans discriminations n'importe quelle pensée
  • l'association qui combine arbitrairement les pensées ainsi capturées


Le terme qui est passé à la postérité est celui de "cadavre exquis", papier circulant de mains en mains où chacun écrit ce qu'il pense immédiatement, sans rien voir, et sans aucun projet.

 Au premier abord, cette céramique griffue (2011, Rafael Gomez) peut être considérée comme un objet surréaliste. Le corps de la céramique semble se convulser pour faire émerger des griffes. La pensée peut y associer un pouvoir de déplacement autonome, comme une capacité à se défendre contre un geste de prise.





 Paul, dans son avant propos à ... commence par décrire la situation : la nuit, le papier blanc, des yeux ouverts sur des espaces déserts sans références, le tremblement répétitif de l'arrivée des pensées. Ou plutôt des tracés du crayon. Et du dessin ainsi tracé, émerge des ailes, des griffes.



 

























samedi 4 février 2012

Vers la lumière

Francis Jacq, que proposez-vous avec vos tableaux ?

Chaque tableau propose une expérience à la fois au regard et à la pensée. D’abord, il apprivoise la lumière à l’aide de couleurs chaleureuses et d’un rythme tonique, puis il invite à entrer dans le rayonnement d’ondes amicales. Ce qui est intéressant, c’est qu'en les regardant, on sent se développer en soi un espace intérieur de méditation.

Comment les couleurs peuvent-elles nous inviter à la méditation ? Le mot "lumière" a plusieurs sens. La lumière désigne l’énergie qui nous apporte chaleur et clarté. Grâce à la chaleur, nous vivons. Avec la clarté, nous voyons et comprenons mieux le monde où nous agissons. En partageant la même lumière, nous nous aimons.

Dans un second sens, la lumière désigne les éléments qui facilitent sa trajectoire. En mécanique, la lumière désigne un petit orifice sur une pièce de métal. En médecine, la lumière désigne l’espace intérieur d’un organe. En Orient, la lumière nomme l'expérience de l’ouverture de l’esprit de celui qui pratique la méditation.

Quand nous ouvrons une porte ou une fenêtre, nous faisons entrer la lumière. La lumière est à la fois énergie et zones successives de la trajectoire. Il y a  la source lumineuse, l’ouverture du mur, et enfin, l’espace intérieur où se déploient les ondes lumineuses. Chaque tableau invite à ouvrir dans son esprit une fenêtre et à laisser entrer la lumière.

Ce que chaque tableau montre, c’est l’influence des rencontres sur la lumière. La lumière se diffuse par réfractions successives, et donc se colore au fur et à mesure. La traversée de l’eau, la rugosité d'une peau tannée ou la surface laquée d’un meuble  vont réfléchir des lumières différentes. Avec les saisons, selon que l’air est chaud ou froid, sec ou humide, nos yeux sont baignés par des luminosités très différentes.

Votre technique est originale : avec de peu de matière, comment créez vous de tels effets optiques?

J’ai mis au point une technique qui élimine l’épaisseur de la pâte. Je voulais saisir la vibration colorée à sa source, là ou le grain de pigment renvoie au regard une longueur d’onde spécifique. J’ai choisi une toile de lin très fine afin qu’un tout petit nombre de grains de pigments soient pris dans un même nœud. J’ai fabriqué des jus très fluides également à base d’huile de lin avec très peu de charge en pigments. J’ai ajouté un peu de poudre de marbre pour augmenter la quantité et la richesse de la lumière réfléchie.

Par exemple, associé à plusieurs grains de marbre faisant miroir, un pigment vert, un pigment jaune, un pigment bleu vont renvoyer une gamme d’ondes composée finement de jaune, de vert, de bleu. On peut s'en donner une idée avec le tableau ci-dessus (146 cm * 114 cm).

Voici l'ensemble des tableaux de la série "Lumières"

Saison / Printemps

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Saison / Eté

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Saison / Automne

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Saison / Hiver

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Trésor / Terre

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Trésor / Eau

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Trésor / Feu

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Trésor / Or

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Trésor / Diamant

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Amitié

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Souvenirs

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Rêverie

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Fascination

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006. (Vendue)

Colère

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006.

Flamboiement

Huile et pigments. 146 X 112 cm. 2006. (Vendue)



Quelle est la modernité de ma démarche ?

Ma démarche artistique prend le contre pied de la tendance actuelle qui est l'accumulation sur un même support de différentes images, addition sur un même support de plusieurs gestes de découper/coller. C'est la transposition au plan de l'art de notre ambiance contemporaine saturée par le souci de l'ordre, des rapports de force, de la "visibilité qui en impose". 

Au contraire, "je m'efforce à un moins de force", "j'invite à une acceptation de l'entropie, du un-peu-plus-de-désordre". A coté d'une écologie des ressources, je propose une "écologie des images".

Aussi ma démarche est plutôt de prendre une image, d'ouvrir ses potentiels de forme et de couleur et laisser s'écouler, laisser se diffuser les formes et les couleurs. 

Je suis philosophe de formation. La philosophie distingue entre l' Etant, constitué par les activités et les technologies, et l'Etre qui est une attitude de disponibilité à ce "moment de vie" où le sens devient ambigu, équivoque, hyperbolique. Le moment où dans les possibles connus, s'ouvre une fenêtre vers l'im-possible. C'est im-possible, et pourtant, j'y suis, j'y chemine.

Chacun de mes tableaux est un témoignage de mon cheminement dans l'im-possible.

Mes vies en réseau


Vivre en réseau

Internet, Facebook, Viadeo, LinkedIn, je suis en réseau, nous sommes en réseau.. en connexion, en communication, en échanges mutuels….

D'où vient le réseau, une longue histoire

Le filet, le piège, le quadrillage du territoire, le réseau des amis, le réseau des fidèles, le réseau de résistance, le réseau de communication, le réseau d'échanges ..

Voici dix peintures avec, en écho, des extraits de « Critique des réseaux » du philosophe Pierre Musso (1)
Le Roi comme tisserand de la Cité
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Dans Le Politique, rédigé vers -365, Platon utilise le tissage comme paradigme pour définir la fonction royale, le roi étant assimilé au tisserand qui entrecroise les fils de la trame et ceux de la chaîne, c´est-à-dire qui compose avec les contraires pour les marier. Dans la mythologie grecque, le thème du lien fait partie des mythes royaux, et Platon utilise ce mythe pour définir l’art royal de gouverner. (...) Le politique, comme le tisserand, exerce une activité de surveillance pour assurer la combinaison des oppositions. (…) Cette analogie platonicienne entre le tissage et la politique entendus comme activité de direction et d’encadrement, est fondatrice. Elle traversera toute l’histoire du réseau-filet interprété comme moyen de surveillance du social.
Pierre Musso. Critique des réseaux, p. 49-51.

Le poulpe et le cerveau
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

« Pour les Grecs, le poulpe est un nœud de mille bras, un réseau vivant d’entrelacs, un poluplokos .. épithète ¨qui désigne le labyrinthe, ses dédales, son enchevêtrement de salles et de couloirs » (M. Détienne et J.P. Vernant). (…) Roger Caillois remarque que dans l’Antiquité, le poulpe passe « pour un modèle de prudence et de sagacité », car il a cette faculté extrordinaire d’accommoder sa couleur au fond duquel il repose. Oppien note que par cette ruse « il dupe ses ennemis et se procure sa nourriture » et Athénée cite une maxime d’Euripolis selon laquelle « un homme qui gère les affaires publiques doit dans sa manière d’agir, imiter le poulpe ». (…) Galien apporte .. l’analogie entre le réseau fabriqué qu’est le filet artisanal et le réseau naturel qu’est l’encéphale (...) Le « plexus réticulé », telle est la grande découverte de Galien : un immense réseau naturel relie les organes au cerveau et fait circuler le pneuma. Le mot « plexus », dérivé de plecto, signifie au sens propre, tissé ou entrelacé, et au sens figuré, embrouillé ou ambigu.
Pierre Musso, Critique des réseaux, p. 56, 62 et 65-66..

(Se) prendre au piège
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Du petit corps humain au grand corps du Cosmos, en passant par la Cité et le politique, le tissu-filet sert de paradigme pour penser l’entrecroisement des contraires. (…) La pensée du réseau consiste à poser des termes contradictoires, ou pôles opposés, et à produire un jeu réciproque de déséquilibre dynamique entre ces termes. (…) La métis [intelligence des situations pratiques chez les Grecs] est la ruse ou le piège – techné ou méchané – qui permet de modifier les rapports de forces dans le monde animal. Puissance aquatique, elle est polymorphe et fluide et peut donc prendre n’importe quelle forme pour exécuter sa ruse. Dans le monde de la chasse et de la pêche, le filet et la métis sont omniprésents en tant que pièges nécessaire à la victoire de la ruse sur la force.
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 55-56.

Vers la société future
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Jusqu'ici, le corps christique assurait dans sa fixité le passage entre l'ici-bas et l'au-delà : désormais, c'est le réseau artificiel qui dans ses flux et ses mailles, prend la place du corps christique comme lieu de passage et de transition vers la société future.. le réseau est l'objet fétiche pour le culte contemporain du mouvement, du passage et de l'horizontalité reliant présent et avenir".
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 360-361.

Passants sur le réseau
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Le réseau est un passeur qui nous transmute en « passants », toujours plongés dans des flux (d’informations, d’images, de sons, de données…). Le mouvement est continu. L’immersion dans les réseaux crée l’obligation de ne pas stationner à une place, de constamment circuler. Le présent est passage, transition, mouvement. Plus besoin d’opérer le changement social, il est vécu en permanence par la connexion, le « branchement », la circulation dans les flux, voire dans l’aventure cyber spatiale.
Pierre Musso, Critique des réseaux. p.353.

La circulation de l’argent, flux naturel, bonheur matériel
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

L’argent est le flux unificateur qui assure le passage d’un système social à un autre…Si dans la circulation monétaire est perturbée, c’est parce qu’elle transite par la médiation du politique, alors que dans l’administration des choses, l’argent circule librement en boucle, de l’industrie à l’industrie, sans le filtre étatique. La circulation s’opérera d’autant mieux dans le système industriel que se multiplieront les réseaux, entendus comme infrastructures techniques… la qualité d’une organisation sociale est proportionnelle à sa capacité à offrir des réseaux de communication. La construction de réseaux est non seulement un but d’utilité publique, mais c’est tout simplement la garantie du bonheur matériel
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 78-79.

La fécondation de la planète Terre par les réseaux
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

« Pour améliorer le plus rapidement possible l’existence de la classe la plus pauvre, la circonstance la plus favorable serait celle où il se trouverait une grande quantité de travaux à exécuter et où ces travaux exigerait le plus grand développement de l’intelligence humaine. Vous pouvez créer cette circonstance : maintenant que la dimension de notre planète est connue, faite faire par les savants, les artistes et les industriels un plan général de travaux à exécuter pour rendre la possession territoriale de l’espèce humaine la plus productive possible et la plus agréable à habiter sous tous les rapports ». Nouveau christianisme, Œuvres complètes, o.c. t. 3, p. 152. Saint Simon.
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 192-193.

Tout circule, tout coule, tout passe, tout communique
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Puisque le politique n’est que détournement d’argent et de pouvoir et cristallisation des flux, il faut le transformer, voire le supprimer pour rétablir la fluidité de l’économie et de la religion de la communication. Or le réseau est le seul intermédiaire qui fasse passer, qui ne retient pas les flux, mais les canalise pour leur garantir le mouvement continu.
Pierre Musso, Critique des réseaux. p.195-196.

Nous devenons des cyborg dans le cyberspace
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

Le syllogisme fondateur de la techno-utopie cyberspatiale se réduit à affirmer que : 1/ le cerveau comme un ordinateur et réciproquement l’ordinateur fonctionne (et « pense ») comme un cerveau. Tous deux relèvent d’une théorie unitaire ayant pour objet la connexion d’éléments en réseau : le cerveau est un réseau de neurones, et l’ordinateur est composé de puces en réseaux. ; 2/ avec internet, se développe un réseau mondial de réseaux mondial par connexion des ordinateurs qui en sont les composants ; 3/ par conséquent, il est possible de connecter les cerveaux humains et les ordinateurs entre eux, grâce à des hyper réseaux reliés à l’échelle planétaire. Ainsi peuvent être obtenues une hybridation homme-machine et une « intelligence collective » dans et par le cyberspace.
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 330-331.

Etre heureux en ligne sur Internet
Huile et pigments. 100 X 200. 2005.

En 1968, Lickider signe avec Robert Taylor, responsable du centre Informatique de l’ARPA, d’où sortira Internet, un article où ils affirment que « les hommes communiqueront de façon plus efficace avec la machine qu’en face à face . . les individus en ligne seront plus heureux, car les gens avec lesquels ils interagissent auront été choisis .. la communication sera plus effective et productive et donc plus agréable ».
Pierre Musso, Critique des réseaux. p. 330.
(1). Editions Presses Universitaires de France. Collection « Politique éclatée ». Paris. 2003.

Quelle est la modernité de ma démarche ?

Ma démarche artistique prend le contre pied de la tendance actuelle qui est l'accumulation sur un même support de différentes images, qui est l'addition sur un même support de plusieurs gestes de découper/coller. C'est la transposition au plan de l'art de notre ambiance contemporaine saturée par le souci de l'ordre, des rapports de force, de la "visibilité qui en impose".

Au contraire, "je m'efforce à un moins de force", "j'invite à une acceptation de l'entropie, du un-peu-plus-de-désordre". A coté d'une écologie des ressources, je propose une "écologie des images".

Aussi ma démarche est plutôt de prendre une image, d'ouvrir ses potentiels de forme et de couleur et laisser s'écouler, laisser se diffuser les formes et les couleurs.

Je suis philosophe de formation. La philosophie distingue entre l' Etant, constitué par les activités et les technologies, et l'Etre qui est une attitude de disponibilité à ce "moment de vie" où le sens devient ambigu, équivoque, hyperbolique. Le moment où dans les possibles connus, s'ouvre une fenêtre vers l'im-possible. C'est im-possible, et pourtant, j'y suis, j'y chemine.

Chacun de mes tableaux est un témoignage de mon cheminement dans l'im-possible.

vendredi 3 février 2012

Adhère au féminin, adhère au noir : du Phénix, tu es la cendre

Lao - Tseu (chapitre XXVIII)

Connais le masculin,
Adhère au féminin.
Sois le Ravin du monde.
Quiconque est le Ravin du monde,
la vertu constante ne le quitte pas.
Il retrouve l'enfance.
Connais le blanc.
Adhère au noir
Sois la norme du monde.
Quiconque est la norme du monde,
la vertu constante ne s'altère pas en lui.
Il retrouve l'illimité.


Encre de chine. 2008.
Encre de chine. 2008.



Encre de chine. 2008.


 La renaissance du Phénix : devenir Cendre pour renaître Encre

Vitalité ! Beauté ! La vie donne existence à l’énergie.

Dans la vibration du corps, l'encre recueille l’énergie de la vie.

Après un apprentissage en Chine, Francis Raphaël Jacq devient Fei Fei (Oiseau Oiseau) et fait dialoguer les cultures française et chinoise.

Révéler la beauté de l’énergie du monde dans le corps vivant! Retrouver dans la culture chinoise la renaissance du Phénix.

Le corps encré à la brosse de larges aplats est vivement frappé sur du papier de riz : l'empreinte est à chaque fois singulière.

Vibration du corps, vibration de l’imaginaire : feuilles de la plante, pétales de la fleur, ailes de l’oiseau.

Détail du Phénix


Pour une critique de Yves Klein

D'Yves Klein, on dit que toute sa vie, il sera fasciné par le vide, par l’immatériel et par l’immense. Cela le conduit a rejeter le bon goût, le figuratif, le peintre peignant à distance son modèle : une femme.

Il imagine un dispositif de création collaborative où le modèle devient un pinceau qu'il guide par des recommandations verbales. Du modèle apparait une figuration brute : des seins, un ventre, des cuisses.
"il ne fallait pas que les mains s’imprimassent, cela aurait donné un humanisme choquant aux compositions que je cherchais... Bien sûr, tout le corps est constitué de chair, mais la masse qui se trouve essentielle, c’est le tronc et les cuisses. C’est là où se trouve l’univers réel caché par l’univers de la perception "

Mais Yves Klein ne va pas jusqu'au bout du de sa critique du dispositif "Peintre / Modèle à reproduire"
" Personnellement, jamais je ne tenterai de me barbouiller le corps et de devenir ainsi un pinceau vivant ; mais au contraire, je me vêtirais plutôt de mon smoking et j’enfilerais des gants blancs. Il ne me viendrait même pas à l’idée de me salir les mains avec de la peinture. Détaché et distant c’est sous mes yeux et sous mes ordres que doit s’accomplir le travail de l’art. "

 A l'inverse, Francis Raphael Jacq se met nu et se barbouille le corps. Il fait de lui un pinceau vivant.

Il n'a plus d'yeux pour se guider. Il est seulement une poitrine, un ventre, et des cuisses.

Il obéit aux deux ordres primaires : "tu frappes le papier", "tu te retires du papier".

Il est YANG qui devient YIN.

Quelle est la modernité de ma démarche ?

Ma démarche artistique prend le contre pied de la tendance actuelle qui est l'accumulation sur un même support de différentes images, qui est l'addition sur un même support de plusieurs gestes de découper/coller. C'est la transposition au plan de l'art de notre ambiance contemporaine saturée par le souci de l'ordre, des rapports de force, de la "visibilité qui en impose".

Au contraire, "je m'efforce à un moins de force", "j'invite à une acceptation de l'entropie, du un-peu-plus-de-désordre". A coté d'une écologie des ressources, je propose une "écologie des images".

Aussi ma démarche est plutôt de prendre une image, d'ouvrir ses potentiels de forme et de couleur et laisser s'écouler, laisser se diffuser les formes et les couleurs.

Je suis philosophe de formation. La philosophie distingue entre l' Etant, constitué par les activités et les technologies, et l'Etre qui est une attitude de disponibilité à ce "moment de vie" où le sens devient ambigu, équivoque, hyperbolique. Le moment où dans les possibles connus, s'ouvre une fenêtre vers l'im-possible. C'est im-possible, et pourtant, j'y suis. J'y frappe.



Les références artistiques

Carolee Schneemann

Carolee Schneemann est une artiste multidisciplinaire. Elle a transformé la définition de l'art et en particulier par son discours sur le corps et la sexualité. L'histoire de son travail se caractérise par ses recherches dans des traditions visuelles archaïques, dans le plaisir et la libido empreints de tabous suppréssifs, dans le rapport dynamique du corps de l'artiste avec le corps social. Ainsi son propre corps est l'élément central de ses performances qui traitent le plus souvent des rituels et de la "grande déesse".


Au début des années 60', lorsqu'elle arrive à New-York pour commencer une carrière de peintre, elle est attirée par un travail de la célèbre New- York School of painting et par ses recherches d'élargissement du tableau traditionnel. Tout comme Robert Rauschenberg, elle combine différents matériaux dynamisant et spatialisant la surface picturale.

Entre 1962 et 1964 elle travaille sur le corps féminin en tant qu'objet du regard masculin dans sa série "native beauties" . Ses premières performances datent de la même époque: en 1960 elle joue pour la première fois devant un public dans "labyrinth" et en 1962 elle participe à la performance de Claes Oldunburg , "store days1".Comme danseuse et chorégraphe du Judson Church Theatre, Schneemann a une double identité de performeur et de plasticienne.

Elle doit sa percée à "Eye Body (thirty-six trasformative actions for caméra 1963)". Elle réalise la performance "Meat joy" en 1964, "Up to and including her limits "(1973-1976), "Intérior scroll"1975... Aujourd'hui Carolee Schneemann est unanimement reconnue pour sa contribution au body art américain et son itinéraire oscillant entre peinture , happening , living- theatre , et le groupe Fluxus fait d'elle une révolutionnaire.


Kazuo Shiraga

Avec ses amis et contemporains Akira Kanayama, Saburo Murakami et Atsuko Tanaka, il énonce la devise fondatrice qui explique le nom qu'ils se donnent "GUTAI" : "L'art doit partir du point zéro absolu et se développer selon sa propre créativité." Rejetant tout principe de composition picturale, tout idéal d'harmonie, toute représentation, il en vient bientôt à concevoir la peinture comme un corps à corps avec la couleur.



En mai 1957, Gutaï organise à Osaka l'exposition "Art Using the Stage". Shiraga s'y montre vêtu d'un costume écarlate démesuré. Cette couleur est celle qu'il piétine et étale dans ses toiles de la fin des années 1950 et du début de la décennie suivante. De grand format, elles sont aux dimensions du corps.

A ce moment, sa notoriété a déjà largement dépassé le Japon, où ses apparitions créent stupeur et scandale. En 1957, le critique français Michel Tapié s'intéresse à lui et contribue à le faire connaître à Paris, où Shiraga, le premier du groupe Gutaï, expose à la galerie Stadler en 1962 et entre en rapport avec l'avant-garde - en particulier avec Jean-Jacques Lebel, dont les happenings ne sont guère moins virulents.

A New York, ses performances retiennent l'attention d'Allan Kaprow, fondateur de la performance aux Etats-Unis qui reconnaît à Gutaï son rôle fondateur : à Shiraga pour ses combats avec les éléments et à Murakami qui déchire en bondissant des feuilles de papier tendues sur des châssis. Les photographies de ces gestes, largement reproduites, ont fait des deux artistes les héros d'un nouveau mode d'expression, qui n'a plus besoin du support de la toile, à la différence de l'action painting de Jackson Pollock. 


A propos des "anthropométries" d'Yves Klein   

Extrait du site boomer-cafe.net


La "technique des pinceaux vivants", ou "anthropométrie" (c'est le terme inventé par Pierre Restany - anthropo, du grec anthropos : homme, et métrie : mesure - pour décrire la technique de Klein), revient à laisser au corps humain le soin de faire le tableau, mettant ainsi l’artiste en retrait. Chez Klein un lien intime unit la peinture au corps et à la chair.

“Je dirigeais, en tournant rapidement autour de cette fantastique surface 
au sol, tous les mouvements et déplacements du modèle qui, d’ailleurs, grisée par l’action et par le bleu vu de si près et en contact avec sa chair, finissait par ne plus m’entendre lui hurler: ” encore un peu à droite”, “là, revenez en roulant sur le ventre et sur le dos”, “venez de ce côté là!”, “écrasez votre sein droit sur cet endroit précis”. Yves Klein

Les Anthropométries sont souvent le résultat de performances réalisées 
en public avec des modèles dont les corps enduits de peinture impriment leurs empreintes sur la toile, leurs mises en scène participent elles aussi de la conception que Klein se faisait de l’art : créer dans l'instant, par la surprise et la provocation, une sensibilité nouvelle.


Happening d'Yves Klein 1960


C'est le 9 mars 1960 que Klein organise sa première performance "anthropométrique", à la Galerie internationale d'art contemporain de Maurice d'Arquian à Paris, devant une centaine d'artistes, critiques et collectionneurs. 

Neuf musiciens commence la symphonie monotone ( monotone) "composée de deux parties : un énorme son continu suivi d’un silence aussi énorme et étendu, pourvu d’une dimension illimitée", silence pendant lequel on entendit un spectateur déclaré, paraphrasant le mot de Sacha Guitry, "Oh privilège du génie ! Après un morceau de Klein, le silence qui suit est encore de lui...". 

Trois modèles se badigeonnent les seins, le ventre et les cuisses de couleur bleue. Elles réalisent ensuite diverses anthropométries, en se plaquant ou se trainant au sol, dont la plus connue est "Anthropométrie de l'époque bleue". Yves Klein, en tenue de soirée, s’y présente en chef de cérémonie, dirigeant à la fois ses violons et les femmes peintes qui laisseront leur trace sur la toile. Cette soirée fut la première manifestation d'u mouvement naissant des "Nouveaux réalistes" qui réunit autour de Pierre Restany et d'Yves Klein, Tinguely, Hains, Arman, Dufrêne, Raysse et Spoerri.




Yves Klein performance du 9 mars 1960




Yves Klein performance du 9 mars 1960
Yves Klein performance du 9 mars 1960






 Vidéo
 


Yves Klein performance du 9 mars 1960



"(...) je me suis servi de pinceaux vivants pour peindre, 
en d’autres termes du corps nu de modèles vivants enduits de peinture, ces pinceaux vivants étant constamment placés sous mes ordres, du genre : "un petit peu à droite ; et maintenant vers la gauche ; de nouveau un peu à droite", etc. Pour ma part, j’avais résolu le problème du détachement en me maintenant à une distance définie et obligatoire de la surface à peindre (...)



Yves Klein - Anthropométrie

"Pour ne citer qu’un exemple des erreurs anthropométriques entretenues à mon sujet par les idées déformées répandues par la presse internationale, je parlerai de ce groupe de peintres japonais qui, avec la plus extrême ardeur, utilisèrent ma méthode d’une bien étrange façon. Ces peintres se transformaient tout bonnement eux-mêmes en pinceaux vivants. En se plongeant dans la couleur et en se roulant sur leurs toiles, ils devinrent les représentants de l’"ultra-action painting" ! Personnellement, jamais je ne tenterai de me barbouiller le corps et de devenir ainsi un pinceau vivant ; mais au contraire, je me vêtirais plutôt de mon smoking et j’enfilerais des gants blancs. Il ne me viendrait même pas à l’idée de me salir les mains avec de la peinture. Détaché et distant c’est sous mes yeux et sous mes ordres que doit s’accomplir le travail de l’art.

Qu’est-ce qui m’a conduit à l’anthropométrie ? (...) 
Je venais de débarrasser mon atelier de toutes mes œuvres précédentes. (...) À partir de ce moment-là, je louais des modèles à l’exemple de tous les peintres. Mais contrairement aux autres, je ne voulais que travailler en compagnie des modèles et non pas les faire poser pour moi.(...)" Yves Klein Manifeste de l'Hôtel Chelsea New-York 1961

Klein choisit aussi de ne pas représenter les mains : 
"il ne fallait pas que les mains s’imprimassent, cela aurait donné un humanisme choquant aux compositions que je cherchais... Bien sûr, tout le corps est constitué de chair, mais la masse se trouve essentielle, c’est le tronc et les cuisses. C’est là où se trouve l’univers réel caché par l’univers de la perception"




Yves Klein - Anthropométrie




Yves Klein - Anthropométrie


Klein considérait, comme Dali, que l’artiste était un personnage public et se devait de mener une existence théâtrale. Toute sa vie Yves Klein sera fasciné par le vide, par l’immatériel et par l’immense. C'est une des personnalités les plus marquantes et les plus controversées de l'art d'après-guerre. "Je me sens particulièrement enthousiasmé par le "mauvais goût". J’ai la conviction intime qu’il existe là, dans l’essence même du mauvais goût, une force capable de créer des choses qui sont situées bien au-delà de ce que l’on appelle traditionnellement l’"œuvre d’art". 

Yves Klein est né le 28 avril 1928 à Nice, son père est un peintre figuratif et sa mère un peintre abstrait géométrique. 
Dès 1946 Yves Klein peignait des tableaux monochromes dont seul variait le format. "Alors que j’étais encore un adolescent, en 1946, j’allais signer mon nom de l’autre côté du ciel durant un fantastique voyage "réalistico-imaginaire". Ce jour-là, alors que j’étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci de-là dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu’ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres."





Yves Klein - Anthropométrie

Yves Klein - Anthropométrie

En 1952, il part perfectionner sa connaissance du Judo au Japon où il devient ceinture noire, quatrième dan, grade qu’aucun Français n’a atteint à cette époque. Entre 1955 et 1962, Klein a réalisé quelque 194 monochromes, à partir de 1957 il choisit exclusivement une variété de bleu outremer. "Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes matérielles ou tangibles d’une manière psychologique, tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel. Ce qu’il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible" Yves Klein. En 1958 il fait l’exposition du vide : vernissage des murs nus de la galerie Iris Clert à Paris. Il dépose en 1960 le brevet d'une couleur bleue (IKB : International Klein Blue). Après ses anthropométries, en 1961, il exécute des "peintures" et des "sculptures" de feu, obtenues par la combustion des cartons. Klein utilise l’or, le feu, et met en place des œuvres rassemblant une trilogie de couleurs bleue, or et rose. Il meurt d’une crise cardiaque en juin 1962.