vendredi 8 juillet 2011

Cy Twombly, peintre voyageur

Le grand artiste américain, ami de Rauschenberg et Johns, vient décédé à Rome, à l'âge de 83 ans. Installé dès les années 50 en Italie, Cy Twombly, avec la lumière de la Méditerranée, a introduit dans les figures du surréalisme les formes dites Classiques.

Cy Twombly, "Untitled (Say Goodbye Catullus, to the Shores of Asia Minor)" (1994), Menil Collection, Houston. Photo : Kewing, licence CC

Cy Twombly est mort. Il avait 83 ans. Il était un artiste immense, l’un des derniers grands peintres de l’âge d’or de l’art américain. Robert Rauschenberg, son ami, s’en est allé il y a trois ans, et Jasper Johns, qui a fêté au mois de mai dernier ses 81 ans, doit à présent se sentir bien seul. Ces trois-là s’étaient connus en 1950 à New York. Et, quelques années plus tard, tandis que Rauschenberg et Johns inventaient la peinture américaine en l’affranchissant de l’art européen, Twombly prenait le chemin inverse, s’installait en Italie, parcourait le monde, et revisitait nos mythes fondateurs.


<p>Un détail du plafond du musée du Louvre peint par Cy Twombly. Antoine Mongodin/MAXPPP</p>
Un détail du plafond du musée du Louvre peint par Cy Twombly. Antoine Mongodin/MAXPPP

Cy Twombly est mort à l’hôpital de Rome. Le cancer contre lequel il luttait depuis des années a fini par l’emporter. En mars 2010, il inaugurait le plafond qu’il avait conçu pour la salle des bronzes du musée du Louvre. Il était souriant. On l’imaginait tels les dieux grecs statufiés par les sculpteurs que son plafond célébrait : immortel. On imaginait beaucoup d’autres choses encore, car l’artiste cultivait le secret. On disait qu’il vivait à Gaeta, un bourg perché sur un rocher de la côte à mi-chemin entre Rome et Naples. On décrivait sa maison rudimentaire, au confort spartiate. On nourrissait la légende.


Cy Twombly habitait plusieurs lieux.

Il voyageait sans cesse
En réalité, Cy Twombly n’habitait nulle part, ou un peu partout, à Gaeta, c’est vrai, le point central de sa vie depuis 1985, mais aussi à Rome, à Bassano in Teverino, dans le Latium, où il avait acheté et rénové une demeure du XVe siècle, à New York où il possédait un atelier, à Captiva Island puis à Jupiter Island, en Floride, à Lexington, sa ville natale de Virginie, où il avait acheté une maison en 1993, aux Antilles, où il passait de plus en plus de temps. Cy Twombly habitait plusieurs lieux. Il voyageait sans cesse. Il avait la bougeotte.

Bougeotte n’est pas ici un vain mot. Ainsi, au début de l’année 1979 – année tout à fait ordinaire, prise au hasard de sa biographie –, il est à Naples pour exposer ses sculptures dans la galerie de Lucio Amelio ; en avril, il est à New York, où le Whitney Museum organise une rétrospective de son œuvre ; en mai, il vient à Paris rencontrer Roland Barthes, qui vient de préfacer le premier volume du catalogue raisonné de ses dessins, édité par le galeriste français Yvon Lambert ; en juin et juillet, il peint à Bassano ; à l’automne, il voyage en Union soviétique, puis en Afghanistan ; au mois de décembre, enfin, il part faire des aquarelles aux Saintes, dans les Antilles françaises.

Cy Twombly voyage donc beaucoup. Les pays dont les traditions artistiques sont fortes et anciennes l’attirent : l’Egypte et le Soudan (1962), le Mexique (1968), l’Irlande (1969), l’Inde (1973), la Tunisie (1975), le Yémen (1982), le Japon (1996), l’Iran (1999), et bien sûr de nombreuses fois la Turquie et la Grèce. Car voilà posé le paradoxe : Edwin Parker Twombly, surnommé Cy, né en 1928 à Lexington, petite bourgade de Virginie, sur la côte est des Etats-Unis, fils d’un joueur de base-ball (George Frederick Twombly, mort lui aussi à 83 ans), est avant tout un peintre méditerranéen.

L'Américain garda toujours une grande admiration pour l’œuvre de Pierre Daura, son premier maître
Il fut formé par Pierre Daura, peintre espagnol, républicain gravement blessé durant la guerre d’Espagne, qui fuit la Seconde Guerre mondiale et s’installa en Virginie, d’où était originaire sa femme. Celui-ci enseigna le dessin au jeune Cy, entre 1942 et 1946. Cy Twombly et lui restèrent très liés. Le peintre américain garda toujours une grande admiration pour l’œuvre de son premier maître. Daura le Catalan, né à Minorque en 1896, est le premier contact avec la Méditerranée Qu’a-t-il raconté à l’adolescent émerveillé ? Sa propre éducation artistique, à Barcelone, par José Ruiz, le père de Picasso ? Son amitié, lorsqu’il vivait à Paris, avec Torres García, Mondrian, Kandinsky, Arp ou Léger ? Les visites que lui rend André Breton ? En 1947, lorsqu’il intègre l’Ecole des beaux-arts de Boston grâce à Daura, Twombly aime à la fois l’esprit dada et la peinture de Soutine, Giacometti et Dubuffet. L’Amérique viendra plus tard, en 1950, lorsqu’il obtient de la Washington and Lee University de Lexington, où il est entré en 1949, une bourse pour étudier à l’Art Student League de New York. Là, il se lie avec Rauschenberg et découvre dans les galeries de la ville les œuvres de ses aînés : Pollock, Rothko, Barnett Newman, Motherwell, Clyfford Still, de Kooning ou Franz Kline.

<p>photo : STR/KEYSTONE/MAXPPP</p>
photo : STR/KEYSTONE/MAXPPP

La biographie de Twombly porte une attention particulière sur l’année 1951. Cette année-là, Rauschenberg attire son ami au Black Mountain College, une université expérimentale fondée en 1933, en Caroline du Nord. Les professeurs sont des artistes résidants : Merce Cunningham y enseigne la danse, John Cage la musique, Kline et Motherwell la peinture, et le poète Charles Olson, également directeur du College, la littérature. Ils organisent à la Seven Stairs Gallery de Chicago la première exposition du jeune peintre – qui exposera à nouveau en fin d’année, grâce à Motherwell, à la Kootz Gallery de New York. Comme la plupart des artistes américains, Twombly est alors marqué par le surréalisme – durant son service militaire, effectué à Augusta, en Géorgie, entre les étés 1953 et 1954, il expérimentera même le dessin automatique dans le noir.

Ainsi se dessine peu à peu l’art de Twombly, subtil mélange de classicisme (son amour pour Poussin !) et d’une spontanéité venue du surréalisme (son trait proche du graffiti mais doté d’une grâce inouïe), nourri de mythologie (son langage symbolique), de poésie (Keats comme Valéry ou Mallarmé) et de voyages, le tout magnifié par la lumière de la Méditerranée. Au bout de ce chemin exigeant, il y a le geste peu à peu libéré et la peinture patiemment conquise, du dessin jusqu’à la couleur, des représentations purement graphiques jusqu’aux ultimes hymnes à la nature, aux fleurs, au rythme des saisons.

D'après Olivier Cena