vendredi 14 janvier 2011

Massacre d'une innocente

La question

Comment témoigner du massacre des innocents en peinture ? Dans la plupart des tableaux classiques sur ce thème, on peut considérer que la mise en valeur des mouvements et des muscles des massacreurs revient à faire un éloge de la force. Face à l'action, le mimétisme nous entraîne malgré nous.

Spontanément, nous sommes SUJET de l'action plutôt qu'OBJET de l'action.

Je recherche ici une autre voie : faire éprouver l'impuissance, la passivité, la souffrance de la victime.

Comment fabriquer des images du point de vue de la victime ?

Je prends comme point de départ une vidéo diffusée sur le net, montée à partir de vidéos faites par un ou plusieurs mobiles. Dans cette vidéo, j'ai sélectionné 18 images qui peuvent s'articuler entre elles de façon à satisfaire des règles esthétiques : rythmiques des lignes et des plans, enchaînements, contrastes et dilutions des couleurs.

Ensuite, sur le site www.cartoonize.net j'ai soumis ces 18 images à un effet de cartoon. Par ce dédoublement, j'espère créer une distance entre le vécu brutal qui est filmé en direct et des images artificielles qui seraient les signes que la jeune fille nous adresse. Des images qui devraient raconter une histoire d'amour, mais qui montrent l'horreur.

Je ne sais pas si mon expérimentation accomplit mon cri :

"PLUS JAMAIS LA LAPIDATION D'UN OU D'UNE  PAR TOUS" !

"PLUS JAMAIS LA LAPIDATION DE  L'AMOUR" !

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Une jeune fille kurde de 17 ans, Doah Khalil Aswad, a été lapidée pour être entrée en relation avec un jeune musulman sunnite. Son « crime » : appartenant à une communauté kurde de religion Yazidi dans la ville de Bashiqa, proche de Mossul, capitale du Kurdistan irakien, elle projetait d’épouser un jeune musulman sunnite dont elle était amoureuse et envisageait semble-t-il de se convertir ; « suprême horreur », elle lui avait même rendu visite.

Pendant 4 mois, un sheik musulman local l’a abrité. Mais dans les derniers jours, sa famille l’a persuadée de retourner chez elle, la convaincant que ses parents et ses proches lui avaient pardonné sa « faute ».

Mille hommes – ou plutôt 1000 bestiaux lâches et vociférant – l’attendaient en embuscade sur le chemin de sa maison et l’empoignent. Ils lui arrachent sa jupe pour signifier qu’elle avait déshonoré sa famille et la religion Yezidi, puis la lapidation commence.

Elle hurle, pleure et crie au secours ; pendant une demi-heure, ces « hommes » la labourent de coups de pied à l’estomac.

Respirant encore, elle gît sur la route à demi-nue, le visage en bouillie, couverte de sang. Pour l’achever, l’un d’eux - son père - lui jette une grosse pierre sur le visage.

La lapidation a été filmée par plusieurs mobiles.

























Quelle est ma démarche ?

Je prends le contre pied de la tendance actuelle qui est l'accumulation sur un même support de différentes images, addition sur un même support de plusieurs gestes de découper/coller. C'est la transposition au plan de l'art de notre ambiance contemporaine saturée par le souci de l'ordre, des rapports de force, de la "visibilité qui en impose".

Au contraire, "je m'efforce à un moins de force", "j'invite à une acceptation de l'entropie, du un-peu-plus-de-désordre". A coté d'une écologie des ressources, je propose une "écologie des images".

Aussi ma démarche est plutôt de prendre une image, d'ouvrir ses potentiels de forme et de couleur et laisser s'écouler, laisser se diffuser les formes et les couleurs.

Je suis philosophe de formation. La philosophie distingue entre l' Etant, constitué par les activités et les technologies, et l'Etre qui est une attitude de disponibilité à ce "moment de vie" où le sens devient ambigu, équivoque, hyperbolique. Le moment où dans les possibles connus, s'ouvre une fenêtre vers l'im-possible. C'est im-possible, et pourtant, j'y suis, j'y chemine.

Chacun de mes tableaux est un témoignage de mon cheminement dans l'im-possible.