mardi 31 décembre 2013

La frontière de la création artistique dans les activités plastiques et graphiques


Sur le site de "La Maison des artistes" http://www.secuartsgraphiquesetplastiques.org/

La frontière passe au sein de la peinture et du dessin ainsi :

Peintures, dessins 

Sont artistes : Tableaux, peintures, gouaches, aquarelles, pastels, miniatures, collages, dessins entièrement exécutés à la main par l’artiste,

à l’exclusion :
des dessins obtenus par des procédés mécaniques, à l’aide de caches ou de pochoirs,
des dessins d’architectes, d’ingénieurs et autres dessins industriels, des dessins originaux de mode ou d’accessoires, de bijouterie, de carrosserie automobile, d’éléments de mobilier ou d’objets,
des articles manufacturés décorés à la main (objets ou articles peints ou décorés : par exemple boites, vases, foulards, coussins…


Sont dites Créations graphiques

Les productions ..
Destinées à transmettre un message visuel dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle pour tous modes de diffusion (presse, publicité, édition, audiovisuel, multimédia…), quels que soient les outils ou technologies mis en oeuvre : utilisation ou non de l’informatique (palette graphique, logiciel d’animation…).

L’ensemble des opérations concourant à l’exécution de la maquette finalisée (jusqu’au bon à tirer), soit recherches et premiers projets, mise au point, réalisation technique, est pris en compte dans le cadre de l’activité d’artiste auteur.

Concernant la réalisation technique, il s’agit de l’exécution des documents nécessaires à la réalisation de l’œuvre, à sa reproduction ou à sa diffusion, soit : participation aux prises de vues utiles à la réalisation de l’œuvre, fournitures telles que documents d’illustrations ou documents d’archives, suivi de réalisation : contrôle de la réalisation technique de la création, fourniture de films, fourniture de fichiers numérique : disquettes, cartouches magnétiques ou optiques, CD ROM…

N'est pas concerné par le terme de "Création graphique" :
l’activité de graphiste qui inclut des prestations techniques relevant du domaine de la production commerciale en vue de la livraison d’un produit fini sous la forme d’exemplaires multiples (travaux d’impression par exemple) et les travaux limités à l’exécution graphique correspondant à une simple mise en œuvre de techniques :
- composition mécanique non originale,
- calibrage de textes,
- exécution de mises en page,
- cadrage de documents photographiques,
- croquis techniques,
- dessin industriel,
- courbes et graphiques,
- plans, coupes, élévations,
- exécutions photomécaniques,
- cartographies et relevés topographiques.

Mais les réalisations de plasticien sont considérées comme de l'art, si elles sont :

Installations, art vidéo, performances pouvant faire appel conjointement à différentes disciplines (sculpture, peinture, photographie, musique, langage, scénographie…) et mettant en évidence la prépondérance d’une démarche plastique créatrice.

L'illustration subordonnée au texte littéraire et scientifique n'est pas de l'art

Des Illustrations sont artistiques ...Pour tous secteurs d’activités (culturel, social, industriel, commercial…) et mode de diffusion (presse, publicité, audiovisuel, multimédia…)

à l’exception :
des illustrations d’écrits littéraires ou scientifiques, c’est à dire des illustrations de textes édités par des maisons d’édition qui relèvent de la gestion de l’AGESSA située 21 bis rue de Bruxelles, 75439 Paris cedex 09 Tél : 01 48 78 25 00
- www.agessa.org

- Vous réalisez des illustrations d’écrits littéraires et scientifiques diffusées par la voie de l’édition et des illustrations pour les autres secteurs d’activités et de diffusion.

• Si les revenus provenant d’illustrations d’écrits littéraires et scientifiques sont prépondérants, vous devez relever de l’AGESSA pour l’ensemble de vos activités.

• Si les revenus provenant des illustrations autres sont prépondérants, vous devez relever de la Maison des Artistes pour l’ensemble de vos activités.

 





lundi 30 décembre 2013

L’écriture est dangereuse pour la santé des plasticiens

Un musicien a rebondit sur la mésaventure de mon exclusion de la Maison des Artistes, et  a écrit un billet d'humeur.


http://wp.me/p3QQOJ-3C
http://valentin-guerin.fr/blog/ 
http://www.facebook.com/redtrombone


Connaissez vous la Maison des Artistes ? Non ? Ce n’est pas grave, si vous êtes plasticiens, vous pouvez vous en faire exclure sans même avoir demandé l’affiliation.
“La Maison des Artistes [MDA] remplit des missions d’intérêt général pour les artistes plasticiens, la solidarité, l’accompagnement professionnel, le conseil et l’information.
Elle est également agréée depuis 1965 par l’Etat pour gérer la sécurité sociale des artistes graphistes et plasticiens.”

http://www.lamaisondesartistes.fr/site/qui-sommes-nous/


Bref, c’est l’histoire un peu cocasse qui est arrivé au peintre Francis Raphaël Jacq qui a osé reprendre des phrases de Proust dans une oeuvre.

Mis à part le fait qu’il n’a rien demandé à personne et que la MDA espionne un peu tout le monde, cette histoire pose la question de la définition de l’art ?

Au cours de mes réflexions (et longues séances de “semi comatage” en cours à la Sorbonne), j’en suis arrivé à me dire que tout est art à partir du moment où l’artiste le conçoit comme tel.

C’est à mes yeux le seul moyen de faire la différence entre une page blanche de marque Oxford et un monochrome.

Le problème, c’est que certains organismes s’octroient le droit de décider à la place de l’artiste.

À la MDA, il y a deux statuts : “l’assujetti à cotisation” et “l’affilié bénéficiaire”. Mais dans les deux cas, tout le monde paye des cotisations sur son chiffre d’affaire. Donc finalement, admettons que j’achète une ramette de papier 80g et que j’arrive à les revendre comme monochromes, la MDA y gagnerait puisque je payerais mes cotisations.

Mais dans le cas de Mr Jacq, ayant repris des phrases de Proust dans une oeuvre, la MDA a considéré que ce n’était pas de l’art et l’a exclu.

Ceci donne raison à mes anciennes pensées de lycéen scientifique : n’écrivez pas de trop, c’est dangereux pour la santé !



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Comment expliquer le comportement de la MDA  ?


Je trouve ceci sur le site conseildansesperanceduroi.wordpress.com/

La République contre les artistes !

30 mar
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Charles  le Brun, de  l’Académie royale de peinture et de sculpture
Il fut un temps où la République n’avait pas besoin de savants ! ( Jean-Baptiste Coffinhal, s’ adressant au chimiste Lavoisier )
N’a-elle plus besoin, désormais, d’artistes ? Trop indépendants, inclassables (même de gauche), indociles, la République les préfère à sa botte, complètement assistés, perfusés, subventionnés, amateurs plutôt que professionnels. La dictature étatique qui s’exerce aujourd’hui en France dans le domaine artistique est pire, parce que plus perverse que celle du régime soviétique : tel était le cri d’alarme poussé – à la fin 2005 – par le président de la Maison des Artistes, Rémi Aron, peintre lui-même !
Mais, il faut expliquer.
Les artistes n’ont pas de statut véritable comme en possèdent, par exemple, les boulangers, les menuisiers ou les paysans qui sont, eux, artisans ou exploitants agricoles, socialement et fiscalement. Les artistes bénéficient, certes, d’une caisse de sécurité sociale gérée par la Maison des Artistes (association corporative d’entraide datant de 1952 et organisme collecteur depuis 1969) qui leur est propre, et, de par la loi, obligatoire, mais ils ne sont – fiscalement – des artistes que s’ils sont subventionnés, tenus par le ministère. Ceux qui vivent, plus ou moins bien, du produit de leur art sont assimilés à de vils commerçants non représentatifs de l’art officiel…
La guerre s’est déclarée très officiellement dans la soirée du 23 décembre 1992 quand le mirobolant ministre de la Culture que fut D’jack Lang fit voter, avec son compère René Teulade (des Affaires sociales et qui depuis a eu quelques démélés avec la justice pour avoir eu un train de vie incompatible avec son état) par quelques députés, une loi fourre-tout qui abolissait la Maison des Artistes.
En janvier 1993, 4000 artistes, peintres, sculpteurs, graveurs, graphistes étaient dans la rue…
Événement tellement extraordinaire que Jacques Toubon fit le serment d’abroger cette loi s’il devenait ministre à la place du Mirobolant. Ce qu’il fit dans le gouvernement Balladur dès juin 1993… C’est à ma connaissance la seule promesse électorale qui ait été respectée…
Madame Trautmann, sous Jospin, remplaça Toubon, mais refusa toujours de présider l’assemblée générale de la MDA, au motif que son ministère n’était pas concerné par les artistes… Et qu’elle se devait de privilégier et développer la pratique amateur.
Comme le fit son successeur, de droite, Aillagon, qui suscita la fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens – ou FRAAP ! –, courroie de transmission du ministère pour la prise de contrôle de la MDA. Une sorte d’organe artificiel de contestation dudit ministère parfaitement docile et contrôlable. Cette fédération rassemble des associations syndicales subventionnées, rafleuses de la manne du ministère, conformes aux critères de représentativité et de qualités de ce dernier… Critères qui dictent l’art officiel, c’est-à-dire une hypertrophie de la conceptualité, un art de l’idée seule, au détriment du savoir-faire et du sensible, massacré par ailleurs dans l’enseignement, soi-disant artistique, depuis au moins 40 ans, sinon un bon siècle.
Car chacun sait que l’idée, pour exister, produit du verbe et que le verbe engendre le pouvoir. Que depuis 1789, l’expression du pouvoir n’est pas dans l’expression artistique,mais dans la force du verbe…
Cette FRAAP, avec quelques adhérents, récents, de la MDA, a lancé une attaque – judiciaire – contre elle, une tentative de prise de pouvoir, aiguillonnée et stipendiée par le ministère.
Heureusement, les artistes ont réagi et empêché cela en élisant fin 2005, une équipe issue de leurs rangs.
Mais, l’État (la République) vient de diligenter une inspection de l’IGAS contre la MDA et de refuser ses statuts adoptés à l’unanimité lors de la dernière assemblée générale. La République ne peut admettre que des professionnels s’organisent seuls, indépendamment de toute organisation syndicale reconnue dans une structure particulière liant une association de solidarité entre eux et un organisme collecteur des cotisations sociales fixées par la loi, spécificité, unique en France, de la MDA.
Tout se passe aujourd’hui comme si les 45 000 adhérents de la MDA étaient un boulet très encombrant pour le ministère qui préfère s’occuper des électriciens, secrétaires et autres métiers utilisés dans le domaine du spectacle – les fameux intermittents – plutôt que des artistes commerciaux sont d’une qualité trop suspecte.
La solution ? Que les artistes s’organisent, affirment hautement et clairement leur professionnalité et se donnent les moyens de le faire. Sinon, on va au chaos, à une sorte de disparition des artistes et, au delà, à la destruction d’un repère important de la société, disait encore Rémi Aron… En somme, revenir à l’idée qui présida en 1748 à la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture par douze peintres et trois sculpteurs auxquels s’adjoignirent les plus grands noms de l’art, pour s’affranchir de la Maîtrise corporatiste dans laquelle les marchands faisaient la loi, pour former des élèves et obtenir directement les commandes qui les libéreraient des règles mercantiles tout en prouvant leur talent.
Cette conception corporatiste, révolutionnaire pour l’époque, fut supprimée en 1793, rétablie plus ou moins sous le Premier Empire, mais ne survécut pas au Second.
Aujourd’hui, c’est le règne de l’arbitraire, de l’irresponsabilité et de l’impunité. Jamais on n’avait vu cela et le pire est que personne ne se rend bien compte de la situation…
Ce qui précède fut écrit en février 2006, suite à une manifestation à laquelle j’avais participé. Le ministricule avait mis fin à la controverse et donné gain de cause aux artistes…
Mais, désormais à la retraite, j’apprend, par Christine Sourgins que, de nouveau, le gouvernement socialiste hollandais s’attaque à la Maison des Artistes. Une lettre interministérielle du 23 janvier 2013 (signée par trois ministres, Touraine (affairesoziales), Filipetti (sociocul), Cahuzac (ex budget par cause de pépites en Suisse) annonce le projet de fusion de La Maison des Artistes et de l’Agessa dans le but de créer une caisse anonyme de sécurité sociale.
Miss Sourgins affirme : « Ce projet vise de nouveau à casser La Maison des Artistes. Les pouvoirs publics, en collusion avec tous les syndicats et organisations professionnelles (à l’exception notable de la SMdA-CFDT), veulent casser cette structure  exceptionnelle, où les artistes se sont pris en main et, tenez-vous bien, dont le régime est excédentaire ! Rien à voir avec la caisse des intermittents du spectacle ! La MDA n’est pas contre une réorganisation des services de sécurité sociale, la  modernisation du régime des artistes auteurs, mais il est quand même extraordinaire qu’elle soit tenue à l’écart de ce qui se mijote en douce. Et qu’un gouvernement  normal punisse des citoyens financièrement vertueux en les normalisant, laisse pantois.
Qui dit unification par la création d’une caisse dit perte de l’agrément pour la MDA. Cette  perte entraîne celle de la légitimité statutaire et remettra en cause la représentativité nationale de la MDA
D‘où :
— perte de la compétence nationale de la MDA qui ne pourra plus lutter contre la concurrence déloyale des amateurs sur l’ensemble du territoire, ni intervenir à juste titre auprès des interlocuteurs institutionnels.
— perte du pouvoir de négociation de la MDA auprès des partenaires publics et privés (musées, lieux d’expo­sitions pour la gratuité d’entrée ou tarif préférentiel, fournisseurs, etc.)
— perte de la capacité d’intervention et d’investigation de la MDA auprès des collectivités locales et territo­riales, des services sociaux, fiscaux, etc.
A terme ce sont tous les services rendus aux artistes professionnels qui sont menacés : fin de l’aide sociale, fin de l’assistance administrative aux artistes, fin des services (consultations juridiques, comptables, sociales, etc.),  disparition de la carte, bref : fin de la MDA qui deviendra une coquille vide.
Sans aucune concertation avec le président de la Maison des Artistes, son représentant légal, ce projet fait l’objet d’une mission d’inspection qui remettra un rapport le 1er juin au gouvernement. Rien n’est donc décidé, tout peut encore changer : défendre La Maison des Artistes dépend de chacun d’entre nous…
On ne peut que mettre en avant le mépris du gouvernement hollandais vis-à-vis de la France bien élevée — on l’a vu le 24 mars — et celui qu’il affiche désormais pour les artistes voire pour l’Armée.
Pourquoi la MDA dérange-t-elle ? Parce qu’elle est gérée par les artistes pour les artistes… ?
Pourquoi cette atteinte contre le seul contre-pouvoir libre ! Pour cause de normalité ?
Pourquoi cette atteinte à la diversité ? Parce qu’il faut un simili mariage pour tous sauf pour un ? Que la normalité ce sont des normes sauf pour eux, les hollandais ?
Pourquoi le pouvoir politique en veut à ses artistes, ils n’ont rien demandé, sinon de pouvoir travailler ! Mais c’est parce que la République n’aime pas les artistes, n’aime pas la famille, n’aime pas l’Armée, et finalement, n’aime pas le Peuple. Qu’elle élimine comme elle le peut suivant les circonstances. Allez Monsieur Normal est pire qu’on ne le croit : c’est Monsieur Bol Bot.
Gérard de Villèle, Conseiller aux Beaux-Arts du Conseil dans l’Espérance du Roi.
Le 31 mars 2013.

dimanche 22 décembre 2013

Ceci n'est pas un corps d'artiste



Je suis designer d'architecture informatique, bloguer, peintre, et privilégie une recherche sur les rapports entre le langage, le corps, l'action. A la Maison des artistes (qui est un organisme de la Sécurité Sociale), j'ai été victime d'une exclusion de la communauté des artistes-auteurs sur la seule base d'un titre donné à une de mes œuvres : "La structure de la phrase en français".

L’œuvre, un travail d'analyse d'une phrase de Proust accompagné d'une anthropomorphie sur du papier de riz a donc provoqué la colère d'une commission d'artistes. Quel tabou ai-je enfreint ? Quel interdit ai-je transgressé ? Y aurait-il, malgré tous les discours sur la liberté de l'art moderne, une frontière invisible ?

Aujourd'hui, René Magritte ou Yves Klein ne seraient-ils donc pas considérés comme des artistes ?

J'ai fait cette affiche et écris un texte  : "Ceci n'est pas un corps d'artiste"

vendredi 20 décembre 2013

Maison des artistes : "Ceci n'est pas un corps d'artiste"



A propos de l’œuvre « Ceci n’est pas un corps d’artiste, décision de la Commission professionnelle du 5 septembre 2013 »


J’ai reçu il y a quelque temps un courrier de l’Assurance Maladie qui m’informe de la décision de la Commission professionnelle de la Maison Des Artistes (MDA) de ne pas me considérer comme un artiste auteur et donc ne pas m’affilier aux assurances sociales offertes aux artistes auteurs.

« Les travaux réalisés par Monsieur JACQ correspondants à des structures de la phrase n’entrent pas dans le champ d’application des assurances sociales des artistes auteurs pour les branches des arts graphiques et plastiques ».

J’ai été étonné de l’intérêt de cette Commission à mon cas car je n’avais pas fait de demande d’affiliation. En effet, mes revenus artistiques étaient bien en dessous du seuil qui permet l’affiliation. De plus, étant retraité, mes droits sociaux sont assurés par une longue carrière de salarié. A ma demande d’explication, une employée de la MDA m’expliqua que cette Commission a pour rôle de décider si les activités d’une personne relève ou non des arts plastiques et graphiques.

Ma première réaction a été d’acter cette décision en terme d’identité sociale : « je ne suis plus un artiste auteur graphiste et plasticien ». Cette perte d’identité m’a mis dans un grand désordre intellectuel et émotionnel. On objectera que n’ai pas tenu compte que le jugement portait sur mes travaux et non sur ma personne. Je répondrai que la conséquence de la décision est de ne pas me considérer, au plan des assurances sociales, donc au plan de la maladie et de la vieillesse, comme artiste auteur.

Des pensées contradictoires se sont entrechoquées dans ma tête. C’est pourquoi je vais m’efforcer ici de les formaliser. Également, je dois offrir quelques chemins aux pulsions qui traversent mon corps. Le corps, oui le corps ! Non seulement mon corps qui est objet de prise d’assurances, mais avant tout, nous le verrons, mon corps manifesté dans l’œuvre artistique, et qui a été ignoré par la Commission professionnelle. Cette ignorance est-elle normale, s’agissant de la mise en œuvre de mon corps ?

Lecteur, considérez que la parole qui s’exprime ici ne vient pas seulement d’un cerveau créateur, assisté par sa main, mais d’un corps tout entier dans sa nudité de chair.

Dans mon dossier remis à la Maison des Artistes, la Commission a sélectionné cet objet : « Les travaux correspondants à des structures de la phrase ». Selon elle, cet objet ne rentrerait pas dans le champ d’application des arts plastiques et graphiques.

Reconstituons pas à pas les caractéristiques de cet objet. A la base, il y aurait une entité grammaticale abstraite : « La Phrase ». Dans cette abstraction, il y aurait plusieurs structures, au sens de systèmes multiples de relations. Ceci voudrait dire qu’à coté de la structure classique « sujet-verbe-complément », j’identifierai d’autres structures, d’autres modes de relations, d’autres formes. Chacune de ces structures, relations, formes, ou bien leur combinaison, pourrait donner lieu à un travail spécifique.

A suivre la Commission professionnelle, la « Phrase » ne serait pas un objet légitime des arts graphiques et plastiques. Vous commencez à comprendre mon désarroi. Exclure la « Phrase » aurait pour conséquence que tout travail graphique sur les phrases, les paragraphes, les textes, sortirait du champ des arts graphiques. Il me semble que c’est une exclusion qui serait difficilement compréhensible par les graphistes et les éditeurs qui les emploient. Egalement, elle serait difficilement compréhensible par les plasticiens.

Faire apparaître plusieurs structures relationnelles, « grapher les formes » dans une phrase revient à montrer que plusieurs formes coexistent dans une même totalité. N’est-ce pas là le principe des arts plastiques ? Montrer que dans la même apparence, plusieurs univers formels entrent en résonnance, n’est-ce pas là le principe même de l’art ?

Par ailleurs, le terme « travaux » justifie-t-il mon exclusion ? A une forme, à une pluralité de formes dans une même totalité, j’aurai fait correspondre un travail rémunéré. Mais n’est-ce pas là la règle économique qui assure aux artistes les moyens de vivre ? Et de contribuer par leurs impôts et leurs cotisations à la société ? Selon cette première approche, mon exclusion de la communauté des artistes serait injustifiée.

Pourtant, je le reconnais, nous appartenons à une tradition culturelle qui légitime cette exclusion. Dans cette tradition, l’art se caractérise par le traitement original et unique d’une matière afin d’y faire apparaître des formes. L’art mobilise d’abord la sensibilité, la réceptivité des sens, puis amène progressivement l’imagination à ses plus extrêmes limites. Il y aurait un circuit obligé : d’abord les émotions muettes, puis les sentiment esthétiques, enfin les formulations verbales par lesquelles les goûts ou les dégoûts s’expriment et se partagent. Pour susciter l’émotion initiale, les formes se donnent dans l’immédiateté d’une imbrication mutuelle.

En ce sens, se donner comme domaine « la phrase » revient à se placer hors de l’art. Utiliser les éléments de la phrase pour faire apparaître des relations abstraites détruit le choc émotionnel, et inhibe de facto les sentiments et leur conséquence : le jugement de goût. Le langage ne serait qu’un moyen d’expression abstraite qui conclurait le processus initié par une expérience sensible originaire et primordiale. Considérer le langage comme une « matière à travailler» serait fabriquer une illusion, et usurper la matière originale créée par l’artiste. Par exemple, l'article 1460 du Code Général des Impôts délimite le statut d’ « artiste » de la façon suivante :

« Sont exonérés de la cotisation foncière des entreprises :
[...]
2° Les peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs considérés comme artistes et ne vendant que le produit de leur art ;
»

Quel est le dénominateur commun à la peinture, la sculpture, la gravure et le dessin ? Dans un forum[1], une graphiste raconte qu’un inspecteur des impôts n’a pas voulu reconnaître son activité comme art. Dans sa lettre de refus, …il qualifie ses travaux comme de l'exécution ou de la création limitée. Par exemple, pour lui, créer un logotype typographique et des cartes de visite n'est que de "l'agencement formel de messages essentiellement écrits [...] dont la part de création se limite au choix de caractères et à leur disposition sur le support". Ce serait sa nature règlementaire qui ôterait au langage la matérialité. Le langage ne serait qu’une combinatoire de formes pré-établies (les caractères), de règles typographiques et de principes de composition. Le design linguistique se limiterait à une action de choix dans les possibilités de la combinaison. Logiquement, c’est dans le design de l’écrit, que se manifesterait de façon la plus exemplaire l’impossibilité d’une dimension artistique.

Pour l’Etat français, comment le langage, et en particulier l’écrit, pourrait-il se prêter à l’art ? Dans le langage, l’activité artistique interviendrait comme subversion des règles par le dessin, l’image, la grande échelle, la symbolisation.

Dans la Circulaire N° DSS/5B/2011/63 du 16 février 2011, il est mentionné que la MDA et la Commission professionnelle - qui a toute compétence pour apprécier le caractère artistique des œuvres, et par là même, la nature de l'activité du futur affilié, aidant la MDA lors de dossiers où il est difficile de se prononcer - considèrent entrant dans le champ d'application des arts graphiques et plastiques les travaux suivants :
- dessins originaux de caractères typographiques,
- conceptions ou compositions de mise en page à partir de textes et d'images,
- conceptions ou compositions graphiques exécutées à grande échelle : murs peints, décorations murales, panneaux décoratifs,
- image de marque, logotypes, dessins symbolisant un personnage, une activité, un service...
- signalétique


Bousculant et subvertissant les règles, l’artiste révèlerait des corporéités, des mouvements, des différentiels, des condensations, des étirements, des non-correspondances, des recouvrements, des pliures, des usures, des vides, des fractures, etc.. imposant une matérialité dynamique, suscitant les émotions et les sentiments, frayant la voie à l’imagination et à l’éducation du goût.

Donc, il est normal et conséquent, en me situant dans la dimension règlementaire du langage, en ne m’attachant qu’aux relations internes d’une entité abstraite close sur elle-même, en refusant le dessin, l’image, la grande échelle, la symbolisation, que je ne sois pas considéré comme un artiste auteur. Je ne peux qu’accepter la décision de la Commission professionnelle.

Si mon intellect donne raison à la Commission, une pulsion en moi proteste. Cette pulsion m’indique que le raisonnement qui oppose « la structure relationnelle du langage » à la « matérialité émotionnelle de l’image symbolique » recèle ce présupposé que le langage est une création d’objets concurrençant les objets existants. Lorsque le langage parle, des objets seraient créés qui auraient immédiatement des propriétés relationnelles, permettant leur décodage immédiat. Ces objets créés inhiberaient la vision et l’appréhension des objets existants, pour les rejeter ou les remodeler. Donc, pour faire apparaître l’existant, il faut commencer par se taire, et se laisser remplir par des sensations et des émotions. Le mode d’apparition des objets déjà créés ne doit rien au langage et à ses structures relationnelles.

Toute phrase peut être ridiculisée dans sa prétention à nier les objets existants afin de promouvoir de nouveaux objets qui n’ont que la consistance d’un nom. Ainsi, lorsque Magritte écrit dans un tableau présentant une pipe la phrase « Ceci n’est pas une pipe », il met en scène une désobéissance. Au moment où la règle rejette au statut de « rien » ce qui serait une pipe, malicieusement le tableau donne à voir une magnifique pipe. La phrase « Ceci n’est pas une pipe » est tournée en dérision.



Magritte ne réplique pas à la phrase négatrice : il se contente de dessiner une forme de pipe courbée de façon élégante, et de disposer les reflets de lumière dans une graduation délicate.

Le paradoxe de la mission Commission professionnelle est de discriminer à l’aide de phrases règlementaires entre les « vrais artistes auteurs » et les « faux artistes auteurs », entre les « vrais œuvres originales et uniques » et les « reproductions mécaniques ». Pour discriminer, la Commission ne peut que construire un jugement que Kant nomme « jugement déterminant »[2]. Il s’agit de trouver dans un dossier des caractéristiques de classement. Soit une personne est « artiste auteur » soit elle est « non artiste non auteur ».

La phrase qui a servi pour me juger est : « Les travaux correspondants à des structures de la phrase ». Cette phrase est en fait une paraphrase du titre d’une œuvre intitulée « Structure de la phrase en français ». Ignorant la existence matérielle de l’oeuvre, la Commission professionnelle a créé un objet à caractériser : « les structures de la phrase ». Pour caractériser l’objet, a ignoré le terme « français », et lui a donné comme prédicat le terme « travaux ».. En escamotant l’œuvre, en installant une continuité entre des activités et un objet abstrait, la Commission a fait de moi un grammairien et donc a jugé légitime mon exclusion hors du champ de l’art.

Donc, les artistes de la Commission s’appuient sur un Art règlementaire qui identifie les œuvres et des artistes en fonction du Code des Impôts et du Code de la Sécurité sociale. Puis-je interroger à haute voix ? Comment des artistes, sur la base d’une reproduction photocopiée d’une œuvre, hors de toute matérialité, sur des indices de contexte de nature comptable, peuvent décider qu’un des leurs n’est pas un artiste ? Comment, au niveau même du principe, peut-on décider qu’un artiste n’est ni un plasticien ni un graphiste sans entendre sa parole ? N’est-ce pas ramener la personne au statut d’objet passif ? N’est-ce pas ignorer l’indétermination de sa personne, sa capacité d’être libre ? De plus, pour mener cette opération d’exclusion, il a fallu le simulacre d’une demande que j’aurai faite, d’affiliation aux Assurances sociales de l’artiste auteur.

Mais la responsabilité est de mon coté : dans mon dossier « rien n’était beau ». En plus, j’ai donné à une juxtaposition photocopiée d’images un titre énigmatique. Le terme « juxtaposition » est important. Un bel objet résiste à la détermination, il ne laisse pas attribuer facilement un prédicat. Or, une partie de l’œuvre s’est laissée facilement caractérisée comme « exercices grammaticaux ». Du coup, l’autre partie de l’œuvre, celle qui manifestait un corps a été ignorée.

En quoi consiste cette juxtaposition qui amène à transformer mon identité d’artiste en non-artiste, par cette phrase qui a due être dite : « Ce qu’on voit n’est pas la production d’un artiste ». Plus précisément, puisque il s’agit d’assurances par rapport au devenir du corps, quelle est cette juxtaposition qui a suscité ce jugement « Ceci ne vient pas d’un corps à assurer en tant que corps d’artiste » ? Plus exactement, quelle est cette œuvre qui, par l’autorité de l’Etat français, fait résonner en elle ce jugement impératif « Ceci n’est pas un corps d’artiste, décision de la Commission professionnelle du 5 septembre 2013 » ?

Rétrospectivement, je m’interroge. L’œuvre a-t-elle développé une vie propre ? Aurait-elle la structure d’un piège du sujet. Par sa juxtaposition et son titre, l’œuvre aurait-elle instrumentalisée une structure « la Maison des artistes » pour énoncer une « phrase » qui décide « en français » d’une identité ? A-t-elle condamné son réalisateur à n’être considéré artiste qu’en étant un étranger à la France ? Je m’aperçois qu’au contraire de ce que dit Kant, je ne peux pas me contenter de me réfléchir moi-même. Il me faut entrer dans l’œuvre. Cependant, je me donnerai comme précaution de rechercher constamment des prédicats qui s’opposent.


L’œuvre « structure de la phrase en français » consiste en la juxtaposition d’une grande tache d’encre de chine sur du papier de riz et d’une phrase de Marcel Proust, répétée dans des états successifs de transformation. Ces états successifs sont l’ajout de propositions relatives à une phrase initiale « Nous vivons enchaînés à un être d’un règne différent : notre corps » par les moyens d’une négation (ne.. pas) et de pronoms relatifs (qui, que, duquel, dont..). Le titre de l’œuvre semble donc désigner la manifestation de la structure d’une phrase de Proust, structure dont les relations pourraient se décrire comme « un noyau d’où émergent des branches » et « une branche qui émerge d’une branche, à l’endroit d’un œil[3] ». Au terme de cette émergence, arrive la maladie, comme présence en nous d’une altérité étrangère : notre corps.

La symbolique de l’arborescence manifeste la force de la Vie. Pourtant, dans son contenu signifié, Proust y rappelle la dimension de la peine, provoquée par ce Corps étranger auquel nous sommes enchainés. Si la Vie fait de nous un corps malade, il ne nous reste comme plaisir qu’à déployer, suggère Proust, une Arborescence d’impossibilités.

Est juxtaposée à la mise en arborescence de la phrase de Proust, une empreinte à l’encre de chine sur du papier de riz. Ce corps ne dit pas qu’il est chinois. Il est là, comme non français, et cela qualifie automatiquement la phrase de Proust comme française. L’expression « en français » du titre trouve ici un emploi. Serait française la phrase de Proust, et chinoise l’empreinte. Cette empreinte à la façon chinoise n’illustre-t-elle pas ce que dit le texte de Proust : à coté de chacun, nous sommes accompagné d’un corps d’un règne différent qui n’entend et ne comprend rien de notre parole. C’est une réponse trop hâtive.

Celle ou celui qui regarde l’encre de chine imprégnant le papier de riz, s’interroge : est-ce l’empreinte d’un végétal ou d’un animal fossilisé ? Sont-ce des singuliers coups de pinceau où se démontre l’art d’un peintre chinois ? Mais certains indices laisse supposer les marques différentielles de la frappe d’un corps : la poitrine, le ventre, le bas ventre, les cuisses. Ce qui reste de ce corps est sans forme. Est-ce une forme humaine : il y manque la tête, les bras, les mains, les jambes, les pieds ? Cette empreinte n’est pas une anthropomorphie à façon d’Yves Klein, c’est une anthropo-amorphie. Cependant, ces parties du corps pourraient évoquer l’anatomie féminine. Le corps qui frappe est-il masculin ou féminin ? Aucun indice d’un sexe n’est visible à l’emplacement attendu.

L’empreinte a été faite par un corps, qui a fait office de presse. Y a-t-il quelque chose à apprendre de cette empreinte ? Il faut remonter du résultat à la genèse. La densité de la marque s’explique par le temps de pression du corps sur le papier : 4 secondes, pour cette empreinte-ci. Au delà, trop imbibé d’encre, le papier se déchire. Les formes de l’empreinte s’expliquent par les reliefs du corps et le badigeonnage de l’encre sur certains de ces reliefs.

Quel est le message de l’empreinte ? Sans connaissance de la culture chinoise, il n’y a qu’un corps encré qui frappe, et le résultat de cette frappe se voit dans un papier imbibé d’encre. Il est juste possible de faire apparaître des différences dans des contours, des graduations sommaires. Oui, nous pouvons encore ajouter un autre motif de l’exclusion de l’œuvre « Structure de la phrase en français » par la Commission professionnelle de la maison des Artistes au regard de deux des champs d’application des arts graphiques et plastiques :
« Tableaux, peintures, collages, dessins entièrement exécutés à la main par l’artiste.. »
« ..Images destinées à transmettre un message visuel dans tous les domaines de la vie économique, sociale et culturelle.. créées par des artistes concepteurs »

Avec un corps utilisé comme une machine, nulle main, nulle création ne sont présentes. Cependant, comme nous sommes avant l’image, nous sommes introduit dans un lieu qui appelle une autre chose qui serait à venir. Quelque chose qui mobiliserait la main et la créativité. Cette empreinte noire ne figurerait-elle pas l’objet qui se dérobe à tout prédicat, à toute détermination ? Sommes-nous dans le dispositif de réflexion imaginé par Kant, où, l’objet se dérobant, sa beauté naitrait avec la réflexion d’un sujet par rapport à lui-même.

Cette empreinte noire n’est pas là comme dérobade à l’attribution de telle ou telle caractéristique. Elle a comme fonction d’introduire un excès de sens. Mais où est cet excès ? Magritte a nommé son tableau « Ceci n’est pas une pipe » et a peint une pipe particulièrement réaliste. Ici, le titre de l’œuvre dit « je suis une phrase », « je suis française », « je suis une structure », mais celle ou celui qui se tient devant cette œuvre n’y voit pas une voie de communication mais une juxtaposition de deux signalétiques culturelles qui sont étrangères l’une à l’autre. Il n’y a pas l’évidence rassurante de la pipe.

Cependant, si l’on fait la démarche de connaître la culture chinoise, la frappe d’un corps encré sur du papier amène une série de prédicats possibles : le noir, le féminin, l’enfance, l’illimité, le Ravin du Monde, la Norme du monde, la Vertu constante. Voici un poème de Lao Tseu qui les assemble dans un tout.

Connais le masculin,

Adhère au féminin.

Sois le Ravin du monde.

Quiconque est le Ravin du monde,

La vertu constante ne le quitte pas.

Il retrouve l'enfance.

Connais le blanc.

Adhère au noir.

Sois la norme du monde.

Quiconque est la norme du monde,

La vertu constante ne s'altère pas en lui.

Il retrouve l'illimité.


Nous nous apercevons alors que l’empreinte noire est un lieu où se rencontrent les opposés. C’est le pivot neutre qui suggère les équivalences. C’est l’enceinte des retrouvailles et du conflit. Là où Proust se plaint de l’étrangeté du corps, Lao Tseu célèbre et le masculin et le féminin. Là où Proust se plaint de la limitation et de l’altération, Lao Tseu est confiant dans l’illimité et la constance de la vertu. L’empreinte du corps muet les accueille et laisse parler tous les deux, sans les interrompre, afin que se construise la ronde de toutes les déterminations possibles.

Donc, par principe, l’œuvre artistique ne peut se réduire à la subversion d’une unique culture. Elle ne devient artiste qu’en aménageant en elle un moteur de rapprochement et de mises en différence entre deux cultures, et plus encore. Dans toute œuvre d’art, il y a, pour lancer et pousser cette dynamique, l’empreinte d’un corps muet qui assure les passages et les équivalences : sans elle, pas de création, pas de main, pas de dialogue entre les cultures. Mais, souvent, personne ne la voit. Alors, pour la faire apparaître, je vais la nommer à la manière de Magritte : « ceci n’est pas le corps de l’artiste ».

Dont acte :



Francis Jacq, le 18 décembre 2013

____________________

[1] http://forum.kob-one.com/post352438.html

[2] Selon Kant, un jugement déterminant est un jugement de connaissance, par lequel j'attribue à un objet un prédicat qui le détermine. Par exemple : « cette pipe est marron ». L’objet est reconfiguré par le prédicat. Si la pipe est marron, il ne sera plus possible de dire qu’elle est bleue.

Le jugement esthétique est un jugement réfléchissant, parce qu'il réfléchit comme un miroir le sentiment du sujet : quand je dis d'un objet « Comme il est beau », l’objet garde l’ensemble des qualités possibles. Cette indétermination de l’objet laisse également indéterminé le sujet, car il reste ouvert à tous les possibles. C’est pourquoi, non déterminé par telle ou telle connaissance, l’amateur de l’œuvre d’art découvre en lui la possibilité d’un choix libre,.

[3] ŒIL désigne, en termes de jardinage et de Botanique, un bouton, une petite excroissance qui paraît sur une tige ou sur une branche d'arbre, et qui annonce une feuille, une branche, un fruit. Il se dit particulièrement de l'endroit par où sort le petit bourgeon de la vigne et des arbres fruitiers.

jeudi 12 décembre 2013

La performance, l’art invisible


La performance, l’art invisible, fait recette

Après les provocations subversives des années 1960-70, la performance est de retour. Mais il n’est plus question de scandale. L’artiste qui s’exhibe devant son public sous les formes les plus variées veut communier avec lui. Et cela marche.

Lors d'une performance, l'actrice Tilda Swinton dort dans une boite au MoMa de New York.  REUTERS
- Lors d'une performance, l'actrice Tilda Swinton dort dans une boite au MoMa de New York. REUTERS -


Petit bol de soupe aux lentilles, bar fumé enveloppé dans une feuille de bananier servi avec des pommes de terre au curry suivi de poulet et d’aubergines frites présentées sur du riz. Et enfin comme dessert un yaourt parfumé à la banane et au safran… Non ce n’est pas mon dernier diner dans un restaurant, mais une performance artistique commissionnée à Subodh Gupta par la Biennale Performa 13 à New York. Son titre? Celebration. Son thème? Pendant une semaine, l’artiste d’origine indienne a cuisiné entre 50 et 60 repas pour les visiteurs. Amateurs d’art ou simples gourmands, cela reste à déterminer!
Dans les années 1960 et 1970, la performance était la partie la plus subversive de l’art contemporain. Les mutilations et autres provocations étaient permanentes et l’objet même des performances.Yoko OnoChris BurdenVito AcconciJohn BaldessariJoseph Beuys,Jack Goldstein défendaient une démarche radicale contre la société, l’establishment et le monde de l’art. Ils refusaient que leurs performances soient rééditées en vidéo ou jouées par d’autres. Il n’était pas question d’argent.


L’art… de la gastronomie

On est très, très loin, de Subodh Gupta qui chaque jour passaient plusieurs heures pour réaliser ses menus, élaborés avec l’aide précieuse de trois chefs professionnels et d’une équipe de bénévoles recrutés par la Biennale. Au milieu du diner, l’artiste, sans quitter son tablier, sortait de la cuisine improvisée, et semblait ravi de partager avec ses convives. On connaissait déjà son goût pour les objets du quotidien, notamment les ustensiles de cuisine pour ses installations, ses sculptures ou ses dernières toiles, on découvre son intérêt… pour la gastronomie.
Cette performance n’est que l’une des très nombreuses présentée lors de la 5ème édition de la Biennale Performa 13, qui s’est tenue à New York tout au long de novembre. Un vrai succès pour cette biennale, uniquement consacrée aux performances multiformes, concerts, rencontres, installations, curiosités en tout genre. Au total 85 manifestations proposées par des artistes du monde entier. C’est la tendance du moment dans l‘art contemporain. Attirant un public toujours plus vaste, la performance devient progressivement une des expressions les plus abouties pour capter et impliquer les audiences dans les démarches artistiques. Autrefois regardée avec méfiance, elle s’est banalisée et a désormais toute sa place au cœur de la scène artistique… et commerciale.

Voyeurisme et nombrilisme

Dans un monde ou la participation est devenue une quête permanente, l’art n’y échappe pas. On connaissait la politique participative, les médias sociaux, et bien l’art contemporain répond à ce besoin. Désormais, je suis donc je participe et j’investis l’instant artistique. L’art contemporain célèbre l’exhibitionnisme naturel de l’artiste en le confortant et en faisant une forme d’art. Il répond aux appétits de voyeurisme et de nombrilisme du public.
Mais ce n’est pas suffisant pour comprendre cet engouement. On assiste depuis quelques années à une transformation de la performance. Les artistes ont quitté les petites galeries anonymes et sont partis à la conquête du grand public. Choquer en prenant son corps comme moyen d’expression, voire en le mutilant, n'est plus l'objectif. La nature de la performance a changé, même si parfois elle peut conserver encore un côté excentrique voire bizarre.
Il faut dire aussi que la censure ne fait plus la chasse aux performances qui mettent à mal la décence publique. Les controverses médiatisées des années 60-70 ont disparu.
L’art de la performance a bénéficié aussi de la désintégration des frontières entre disciplines artistiques. Il demeure toujours difficile à ranger dans une case: il n’est ni du théâtre, ni de la musique, ni complètement de l’art contemporain.

La performance entre au musée

Dans son ouvrage Performance art Futurism to Present, RoseLee Goldberg, historienne auto proclamée de la performance, la définit comme «l’art suprême» de l’interaction avec son auditoire, sans pour autant être enfermé dans une narration claire ou linéaire.
L’autre grand changement provient de la nature de la performance. Elle n’existait que comme une expérience unique, une création partagée entre l'artiste et son public. Tout va changer à partir de 2003. La première performance entre dans une collection de musée, pas en tant que vidéo ou photo, mais en tant que représentation temporaire. Une façon pour l’établissement d’être sûr d’attirer les visiteurs.
La Tate Gallery à Londres, achète deux performances: en 2003, Good Feelings in Good Times du slovaque Roman Ondák, une composition de 6 à 15 personnes formant une file d’attente et en 2005, This is Propaganda de Tino Sehgal, un gardien de musée qui chante à haute voix «This is propaganda». En 2009, le MoMA à New York a achetéthe kiss, une performance de Tino Sehgal, deux danseurs, un homme et une femme réagissent à des reconstitutions emblématiques de baisers dans l'Histoire de l'Art.
Roman Ondák et Tino Sehgal sont des précurseurs. Ils ont protégé leurs droits d’auteurs, en codifiant les interprétations et en les rendant reproductibles. Un spectacle comme un autre. Tino Seghal est particulièrement pointilleux quant il vend, cher (au moins 100 000 dollars), ses «situations immatérielles». Il refuse de laisser toute trace de son travail: aucune photo, portfolio, catalogue ou film ne doivent jamais être réalisés. Le contrat est oral et les transactions en liquide et sans reçus. Pratique pour les musées.

La «star» Marina Abramovic

Tandis que les performances investissent les musées avec une génération de nouveaux artistes, les anciens reprennent eux-aussi du service. Marina Abramovic, qui se présente comme la grand-mère des performances, est réapparue en 2010, lors d’une rétrospective dont Slate avait alors parlé ici. Les anciennes performances de l’artiste monténégrine étaient reconstituées par d’autres. Sa prestation consistait à rester près de 700 heures dans des face à face individuels, chacun pouvait s’asseoir et la fixer dans les yeux… Marina Abramovic est devenue une star. Elle multiplie les performances parfois «douteuses» avec des personnalités comme Jay-Z ou Lady Gaga, et d’autres fois lumineuses comme sa collaboration avec le metteur en scène Robert Wilson et l’acteur Willem Dafoe dans The Life and Death of Marina Abramovic.
Les performances sont devenues aujourd’hui omniprésentes. Signe des temps, en 2012, la 76ème Biennale du Whitney Museum à New York a consacré un étage entier aux performances, une reconnaissance égale aux arts plastiques. Un succès qui devient aussi économique. En mai dernier, lors de la foire de Frieze toujours à New York, pour la première fois certaines pièces d’ «invisible art», étaient vendues pour un montant compris entre 80 000 et 100 000 dollars.
La foire Miami Art Basel, qui s’est tenue il y a quelques jours en Floride, a évidemment fait une grande place aux performances. Kanye West, qui affirme être Picasso, Steve Jobs, Walt Disney et… Marina Abramovic a proposé avec l’artiste Vanessa Beecroft the «Affordable Care», une mise en scène où un groupe d’une quinzaine de femmes nues couvertes d'argile restaient debout plusieurs heures.
Une chose est sûre aujourd’hui. Les performances motivent de plus en plus sérieusement les marchands d’art. L’euphorie est telle dans un marché de l’art contemporain qui ne cesse de battre des records qu’il y a bien une place sur le marché pour les performances. Laquelle?
Anne de Coninck

mardi 16 juillet 2013

Le roi du Punk abolit la royauté

Repris de  Télérama n° 3313 
Propos recueillis par Hugo Cassavetti 

Johnny Rotten : “En tant que roi du punk, je décrète cette loi : le punk n’a pas besoin de roi”

L’INVITÉ DE L'ÉTÉ 1/4 | Hier, l'ex-leader des Sex Pistols faisait trembler la Couronne et Thatcher. Aujourd'hui, toujours aussi punk, il s'en prend à Sting, Robin Williams ou Tony Blair. Entretien.
 Sandro Bäbler pour Télérama
Sandro Bäbler pour Télérama

Il paraît loin, le garçon malingre au teint blafard et aux dents si abîmées qu'on le surnomma Johnny Rotten (pourri, en anglais). Il fit trembler le Royaume-Uni. Chanteur des Sex Pistols, le groupe punk suprême, il était le symbole de l'implosion d'une Angleterre rongée par la crise, les grèves et le chômage. John Lydon  il reprit son vrai nom dès 1978, à la fin des Pistols – était le porte-voix de l'individualisme positif, avec son chant effrayant et ses textes impitoyables, autant de cris d'insoumission d'un laissé-pour-compte face à l'ordre étouffant – la famille royale, les conservateurs, mais aussi les travaillistes.
On le retrouve aujourd'hui, joyeux et bondissant. Il ne cherche plus à vous intimider avec ses remarques cinglantes, sa carrure désormais imposante ou son regard terrifiant. Aimable, il savoure le bonheur de jouer avec son groupe PIL, sa world punk sans frontières so british, en travailleur enfin indépendant. Mais, derrière le quinquagénaire intarissable, l'observateur enragé de la société britannique est toujours là. L'antéchrist du « no future » n'oublie pas ses ennemis. « La colère est une énergie », clamait-il.
L'an dernier, vous avez publié avec PIL (Public Image Ltd) votre premier album depuis vingt ans. 
Pendant tout ce temps, je n'étais pas libre de le faire. Depuis la fin des Pistols, j'ai été prisonnier de contrats, avec toujours plus de dettes à rembourser. Je ne pouvais m'en extraire, seulement gagner du temps, jongler avec les clauses. L'artistique était évacué, je n'avais plus affaire qu'à des comptables. Des gens froids, qui ne pensent qu'en chiffres. Pendant presque vingt ans, je n'ai plus pu enregistrer. C'est dur de se voir interdire de créer. Mais j'ai toujours refusé de sombrer dans l'aigreur. Au contraire. Je puise mon énergie dans l'adversité.
Vous avez pu racheter votre liberté grâce à une campagne de publicité pour le beurre outre-Manche...
Exactement. J'ai pu rembourser mes dettes et financer le dernier album. Quel bonheur d'être enfin indépendant ! On m'a reproché, comme tout ce que je fais, ces pubs pour le beurre, mais j'assume. Toujours la même accusation de trahir la cause, d'être vendu. Moi, je trouve ça plutôt punk et cohérent. L'argent a financé ma liberté artistique, et puis c'est vrai que je mange beaucoup de beurre. Ça se voit, non ? Ce n'est pas un mensonge. Pas comme Iggy Pop, qui pose pour une compagnie d'assurances qui refuse d'assurer les rock stars !

Avec cette nouvelle incarnation de PIL, vous vous entourez pour la première fois de musiciens avec lesquels vous vous entendez ?
Je n'avais jamais connu une telle complicité auparavant. En fait, comme j'ai démarré avec les Sex Pistols, j'ai longtemps cru que tous les groupes étaient un nœud de tensions et de conflits. S'apprécier était en option. Chacun avait des goûts et des buts différents, mais une curieuse solidarité nous unissait contre ceux qui voulaient nous abattre. En fait, j'aimais Paul Cook, le batteur, et même Steve Jones, le guitariste, au début.
Mais le management ne cessait de nous monter les uns contre les autres. On s'est confronté très tôt à la perversité et à la malhonnêteté du monde adulte. Il y avait de la haine entre nous, mais on a réussi à en faire une force, qu'on a retournée contre les autres. On a appris que l'industrie de la musique était un univers cruel. Il a fallu une résistance inouïe pour s'en sortir. Certains ne l'ont pas eue. Et ont sombré dans la drogue dure…
Vous songez à Sid Vicious, qui, lui, était votre ami…
Oui, on s'était connus dans un établissement scolaire pour enfants difficiles. Le problème majeur de Sid était que sa mère était héroïnomane. Il y avait cet atavisme, qu'il cherchait vainement à repousser. Il déménageait tout le temps et, du coup, n'a jamais pu créer de liens forts avec d'autres gamins. Moi, je passais ma vie dans la rue, avec une bande de gosses. Ça structure, on y apprend à se débrouiller, à survivre, à s'entraider et une forme de bon sens.
Vous aviez aussi une relation forte avec votre mère ?
A 7 ans, j'ai contracté une méningite. On vivait dans un taudis, sans eau courante, avec des rats… J'ai passé un an à l'hôpital. Et j'ai mis quatre ans à m'en remettre. Déjà, ma mère m'avait appris à lire et à écrire à l'âge de 4 ans. J'adorais ça. Mais, en sortant de la maladie, j'avais totalement perdu la mémoire. Il a fallu tout reprendre à zéro. Et c'est elle qui m'a tout réappris, car l'école n'avait pas de temps pour les enfants comme moi. Je ne savais plus rien, même pas si mes parents étaient vraiment les miens. Il fallait faire confiance aux autres.
Du coup, la vérité est devenue une valeur essentielle chez moi. Faire le tri entre les gens de confiance et ceux qui vous mentent et vous manipulent. Ma mère m'a toujours soutenu, elle a été ma bouée de secours. Comment ne pas rester proche après ça ? Elle m'a protégé, tout comme j'ai protégé mes trois petits frères. Et je conçois un groupe de la même manière. Malheureusement, la plupart des autres ne pensent qu'à l'argent.

La musique n'était pas votre vocation ?
C'est arrivé par hasard. Malcolm McLaren et Bernie Rhodes, le futur manager deThe Clash, étaient en train de monter ce groupe, les Sex Pistols. Rhodes avait repéré ce drôle de gamin aux cheveux verts qui arpentait King's Road avec un tee-shirt sur lequel était inscrit : « Je hais Pink Floyd ». C'était moi. Ils m'ont demandé si je voulais chanter. Je n'y avais jamais pensé.
En fait, j'avais même développé un certain art de mal chanter. Parce que j'avais fréquenté un collège catholique où, dès qu'on repérait un garçon à jolie voix, il était enrôlé dans le chœur. Et on savait ce qui arrivait aux gosses qui tombaient entre les mains du prêtre… Voilà d'où vient ma voix si particulière. Une protection. Du coup, elle est assez unique. Et puis j'ai toujours été plus sensible à la force des mots, à leur prononciation qu'à une simple mélodie.
D'où votre admiration, très tôt, pour Captain Beefheart ?
J'appréciais sa manière de triturer les musiques qui l'inspiraient, le blues de Memphis ou du Delta, pour en faire cette décoction d'une divine non-musicalité. Il ouvrait le champ à toutes les possibilités. Ses paroles, tordues, hilarantes, souvent incompréhensibles, me bouleversaient. Il y avait une telle puissance dans son interprétation.
Ce type n'a jamais fait que ce qu'il voulait, que ce qu'il ressentait. Le succès et l'argent n'étaient pas son moteur. Tout l'opposé d'un bonnet de nuit nanti comme Sting, le bouddhiste à la gomme… Un de mes plus beaux souvenirs est une expo de peinture de Beefheart que j'ai vue à Hambourg… Il peignait comme il chantait. Quelle énergie, quelle intensité !
La douzaine de chansons, devenues autant de classiques rageurs et furieux, que vous avez écrites pour les Sex Pistols sont venues comment ?
Assez spontanément. J'avais toujours griffonné des choses, je lisais beaucoup de poésie, de Keats notamment. Je m'étais même imaginé devenir écrivain. Mais je sentais qu'il manquait toujours quelque chose. C'était la musique. Et ces textes pour les Sex Pistols sont sortis par jets. Ils devaient mûrir au fond de ma cervelle. Vous connaissez Robin Wil­liams, l'acteur comique qui ne se tait jamais ? C'est comme ça dans ma tête. Je suis en ébullition permanente. Une fois guéri de ma méningite, je me suis juré de ne plus jamais laisser mon cerveau au repos. J'ai écrit le texte deGod save the queen presque d'un trait, le temps d'avaler une boîte de baked beans[haricots blancs, ndlr] ! Une vérité qui ne demandait qu'à jaillir.

« God save the queen, the fascist regime »… La chanson, sortie au moment où la reine célébrait son jubilé, en 1977, a fait de vous l'ennemi public n° 1… Trente-cinq ans après, les Sex Pistols fêtés lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Londres, c'est une victoire ?
Une victoire, non. Mais ça fait plaisir. Au départ, je ne voulais surtout pas à être associé à tout ce cirque horripilant. Mais Danny Boyle, le metteur en scène de la cérémonie, m'a fait changer d'idée. Il a voulu rendre hommage à l'Angleterre dans ce qu'elle a de mieux et de plus précieux, un peu à la manière de Dickens autrefois. Montrer le peuple, celui que l'on n'a cessé de mépriser et d'écraser, et qui est l'âme de l'Angleterre, en célébrant le système de santé gratuite qui a longtemps été l'honneur du pays. Quelle joie de voir la famille royale au grand complet obligée d'écouter sans sourciller notre chanson Pretty Vacant en entier ! God save the queen aurait été encore plus jouissif, mais il ne fallait pas pousser.
Londres a bien changé…
Je ne suis pas opposé au changement, loin de là, mais, dans le cas de Londres, comment s'en réjouir ? J'ai le souvenir du Londres de mon enfance, sombre et mal éclairé certes, mais qui ressemblait à ces décors de vieux films avec Alec Guinness. Il y avait peu de voitures et la rue était livrée à des hordes de gamins. C'était leur territoire. Il y avait encore beaucoup de terrains vagues, à cause de la guerre, et l'on vivait en marge de la société des adultes. On jouait et on se battait, mais ça n'avait rien à voir avec la délinquance d'aujourd'hui. Nous étions tous pauvres, mais on se sentait en sécurité. Il n'y avait pas de jalousie ou d'envie puisque personne n'avait rien.
Tout a changé quand la télé en couleurs est arrivée. Et, avec elle, ces publicités pour voitures et appareils d'électroménager auxquels on n'avait pas accès. A partir de là, nous avons pris conscience d'être des citoyens de seconde zone. La pub a développé la frustration, l'envie, la tentation, et avec, le vol et la violence.
Avec les Pistols, le punk divisait le pays, et vous avez été confronté à une autre forme de violence…
J'ai grandi à l'ombre d'Arsenal, le club dont je suis supporter, et une certaine violence ne m'était pas étrangère. Ça pouvait être brutal, mais ça restait presque bon enfant. Avec le punk, une autre violence a été mise au jour. Celle d'une société britannique bâtie sur l'humiliation constante d'une classe ouvrière traitée comme une bande de demeurés.
Quand j'étais jeune, à Finsbury Park, il y avait une mixité incroyable : des Blancs, des Noirs, des Indiens, des Irlandais, des Anglais, des Grecs, des Turcs, qui s'entendaient très bien. On ne jugeait que les personnalités, pas la couleur ou la nationalité. Tous les gouvernements qui se sont succédé se sont acharnés à détruire cette solidarité. Le pire étant probablement Tony Blair, avec sa promesse d'un pseudo-New Labour. Ce type n'est qu'un imposteur, un avocat véreux qui ne vaut pas mieux que ceux qui tiennent des officines de paris. En un peu plus éduqué, bien sûr.

Il était pire que Margaret Thatcher, à vos yeux ?
Avec Thatcher, on savait à qui on avait affaire. Le punk a explosé sous Callaghan, le travailliste. Le Royaume-Uni était dans un état désastreux. Thatcher et nous, les Pistols et le punk, étions les deux réactions opposées au même problème. Il n'y a pas un mot avec lequel je pourrais être en accord avec elle sur le plan politique, mais elle était mon adversaire préférée. Cette femme a fait plus de mal au peuple anglais qu'aucun autre leader. Mais elle disait ce qu'elle pensait, et faisait ce qu'elle disait. Je la respecte pour cela. Elle m'a aidé à affûter ma pensée, mes convictions. D'être toujours du côté du peuple et de l'individu face aux institutions.
Avant, l'Angleterre était entre les mains de conservateurs sérieux, qui posaient problème dans tous les domaines, mais au moins on savait quelles étaient leurs valeurs. Quand on venait d'un milieu prolétaire, on savait comment manœuvrer pour passer entre les lignes. C'était instinctif. A présent, tout n'est que bureaucratie, une suite de règles et d'interdictions qui régissent notre vie comme si on était gouverné par la Sécurité sociale. L'ironie étant que ce sont ces mêmes gens au pouvoir qui rêveraient de se débarrasser de la Sécu et du service public. Parce que les supposées élites qui nous gouvernent aujourd'hui n'ont aucune culture.
Le grand projet de Thatcher était de bâtir une nation de classe moyenne, mais le résultat, dramatique, est que plus personne ne sait d'où il vient. Et, du coup, plus personne ne ressent un sentiment d'appartenance à une communauté. Il faudrait renier ses origines mais être fidèle à son entreprise ? Mais tout le monde s'en fiche ! Aujourd'hui, personne n'aime son entreprise, le produit qu'il fabrique et encore moins ceux qui l'emploient. Voilà ce qu'a fait Margaret Thatcher. La reine des conservateurs a tué toute notion de loyauté et de dévouement. Car on ne produit plus que pour une société égoïste et inculte.

Sandro Bäbler pour Télérama
Sandro Bäbler pour Télérama

Vous sentez-vous relié, aujourd'hui, aux insurgés punk de 1977 ? 
La fameuse « classe de 77 » ? Je déteste cette formule. Tout ça, ça vient de Mick Jones, de The Clash. Un type adorable, trop gentil même… Il pense que tous les anciens punks devraient se serrer les coudes. Mais pourquoi ? Je réfute l'idée qu'on était tous dans le même sac. Le punk était justement pour moi la révolte contre la ghettoïsation, et il faudrait en créer une nouvelle ?
Le punk est vite devenu un horrible cliché, juste des pauvres mecs qui s'habillaient tous pareil. Etre punk, c'est trouver sa voie, son style, surtout ne pas suivre bêtement les autres. La même chose s'est produite avec le rap, qui n'est vite devenu qu'un produit commercial à base de clichés, à des années-lumière de l'esprit, marginal et joyeux, du hip-hop des origines.
Les expos consacrées au punk, comme celle du MoMA, à New York, actuellement, ne sont pas votre tasse de thé ?
J'ai parlé à ceux qui l'ont conçue, mais ils n'ont visiblement rien compris. Ou ne peuvent pas comprendre. Une expo sur le punk doit être plus qu'une série de mannequins habillés de vêtements « dingues ». Il y a tout un contexte historique, politique qu'il aurait fallu expliquer, présenter. Et ça se finit en expo chic où Madonna peut aller traîner avec sa suite… Punk, tu parles ! De toute façon, le punk, l'authentique, c'est moi. Personne ne peut m'enlever ça. Je l'ai défini, j'en suis le roi. Et, en tant que roi, je décrète cette loi : le punk n'a pas besoin de roi.

 

Johnny Rotten en quelques dates 

1956 Naissance à Londres de John Lydon.
1975 Devient chanteur des Sex Pistols sous le nom de Johnny Rotten.
1977 God save the queen, single interdit d'antenne, est n°1 au hit-parade.
1978 En janvier, ultime concert des Sex Pistols. Rotten redevient Lydon et fonde PIL.
1994 Autobiographie : Rotten. No Irish, no Blacks, no dogs.
2012 Neuvième album de PIL : This is PIL.

mardi 11 juin 2013

Chemins de la pédagogie à l'école

www.telerama.fr/  Lorraine Rossignol Le 

Montessori, Freinet, Steiner-Waldorf : des méthodes qui ont fait leurs preuves
ENQUÊTE | Les pédagogies Montessori, Freinet et Steiner-Waldorf sont répandues dans le monde entier. Des méthodes alternatives qui abordent l'enfant avec bienveillance.


 A l'école du Colibri dans le Gard, la nature est...
A l'école du Colibri dans le Gard, la nature est omniprésente. © Jean-Marie Huron / Signatures pour Télérama

La pédagogie Montessori

Mise au point par Maria Montessori (1870-1952), première femme médecin d’Italie, cette méthode est la première à considérer l’enfant en tant qu’individu – « chaque enfant est unique » – et repose essentiellement sur l’éducation sensorielle. Particulièrement intéressante appliquée à la petite enfance, elle n’en concerne pas moins des enfants de tous âges : on compte aujourd’hui 22 000 écoles Montessori dans le monde (de la maternelle au lycée), dont quelque soixante-dix en France (soit environ 3 000 élèves), où cette pédagogie connaît un spectaculaire regain d’intérêt (une douzaine de nouvelles écoles créées ces derniers mois).

La pédagogie Steiner-Waldorf

Inspirée des travaux du philosophe autrichien Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de l’« anthroposophie » (pensée visant à rapprocher l’homme des « mondes spirituels »), cette pédagogie humaniste accorde une large place aux travaux artistiques, scientifiques et manuels. Elle recentre aussi les enfants sur leur intériorité et leur créativité. Forte de 250 000 élèves dans le monde, la pédagogie Steiner compte vingt écoles et jardins d’enfants en France, soit quelque 2 300 élèves.

La pédagogie Freinet

Originaire des Alpes-Maritimes, l’instituteur Célestin Freinet (1896-1966) construit une pédagogie ouverte sur l’extérieur et centrée sur le travail en coopération des élèves, l’expression libre, les apprentissages concrets. A partir des années 50, elle connaît un rayonnement international, au point que ses méthodes sont aujourd’hui pratiquées d’Amérique latine au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique. En France, du fait d’un partenariat avec l’Education nationale (à l’inverse des établissements Montessori et Steiner, privés), le mouvement Freinet touche quelque 5 % des élèves, soit 600 000.

Yourte et méditation

« Quelle planète laisserons-nous à nos enfants, et quels enfants à notre planète ? »Cette phrase de Pierre Rabhi, l’inventeur de l’agroécologie, infuse l’action des deux écoles alternatives qui se sont créées, l’une en 2003, l’autre en 2006, de part et d’autre du Rhône : la Ferme des enfants, fondée par Sophie Rabhi-Bouquet, sa fille, adepte de la pédagogie Montessori ; et l’école du Colibri, conçue par Isabelle Peloux, enseignante depuis trente ans, pédagogue praticienne passionnée.
Dans les deux cas, la nature y est, tout autour, omniprésente. Mais pas comme un joli décor, si beau soit-il : il s’agit bien de vivre ici au rythme des saisons, des plantes et des bêtes, afin non seulement de faire des enfants de futurs adultes concernés par l’environnement et la planète, mais d’ancrer les apprentissages dans le concret de la vie quotidienne, notion clé des pédagogies nouvelles. Dans ces deux petites structures (soixante-cinq enfants pour la première, trente-cinq pour la seconde), les enfants, autant qu’à lire et à compter, apprennent à vivre harmonieusement.
Que ce soit lors des deux rassemblements collectifs quotidiens dans la yourte des Arts, côté Ferme des enfants, ou grâce au quart d’heure de méditation qui commence chaque journée à l’école du Colibri. « Les élèves font l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble », explique Isabelle Peloux. « Je n’ai pas vu une seule fois cette année des enfants se battre dans l’enceinte de l’école », témoigne Sophie Rabhi-Bouquet, qui a mis au point un système si novateur (par la coopération, l’implication, l’expression libre) que les familles, venues des quatre coins de France, et même d’Europe, l’adoptent souvent elles-mêmes.
Isabelle Peloux, en revanche, garde une main tendue vers l’Education nationale, dont elle forme les futurs enseignants. Là où la première structure accueille notamment des enfants souffrant de phobie scolaire, la seconde remet en confiance des élèves en grande difficulté (15 à 20 % de ses effectifs). En croyant chaque fois à un principe simple : la bienveillance.

Bon élève grâce au vélo

Ici, à la récré, les enfants ont la possibilité de faire du monocycle. Il s'en trouve toujours plusieurs à leur disposition, dans cette école Steiner-Waldorf de la périphérie de Colmar, et il n'est pas rare, comme en cette matinée de printemps, de voir des écoliers s'élancer dans la cour, concentrés sur leur équilibre.
« Des études officielles ont montré que les enfants pratiquant le monocycle avaient de meilleurs résultats scolaires. Parce qu'ils sont obligés, pour rester en selle, de faire le calme à l'intérieur d'eux-mêmes », explique Philippe Pérennes, enseignant en premier cycle.
Tout est dit de cette fameuse « pédagogie Steiner », centrée sur la dimension spirituelle de l'existence et sur la part de créativité que recèle tout individu. A fortiori, les enfants : « On ne sera jamais à la hauteur pour les comprendre. Ils sont des points d'interrogation vivants. » Ici, les manuels scolaires n'existent pas. « Pour permettre aux professeurs d'être de vrais créateurs – ce qui ne les empêche pas, bien sûr, de se documenter. Rien de pire qu'un prof qui rabâche son texte depuis dix ans. Les enfants le sentent aussitôt. »
Chorale, pratique instrumentale, théâtre, sculpture sur bois, couture, jardinage… au cours de leur scolarité (jusqu'à la première, après quoi ceux qui souhaitent passer leur bac doivent réintégrer les circuits traditionnels, ils sont alors le plus souvent de brillants élèves, vifs et curieux), les enfants des écoles Steiner font tous ces apprentissages, en plus d'apprendre à lire, à compter, à écrire, à parler des langues étrangères.
« Un gosse n'est pas seulement une tête. Il faut solliciter tout son être, affirme Guy Chaudon, enseignant. Au professeur de savoir l'appréhender comme une entité, non comme un élément parmi d'autres. »
A lire
La Ferme des enfants, une pédagogie de la bienveillance, de Sophie Rabhi, éd. Actes Sud, 200 p., 22,40 €.

Instruire en famille, de Charlotte Dien, éd. Rue de l'Echiquier, 128 p., 15 €.
Les 10 Plus Gros Mensonges sur l'école à la maison, de Sylvie Martin-Rodriguez, éd. Dangles, 240 p., 20,30 €.
… Et je ne suis jamais allé à l'école, Histoire d'une enfance heureuse, d'André Stern, éd. Actes Sud, 168 p., 22,40 €.
La Fin de l'éducation ? Commencements…, de Jean-Pierre Lepri, éd. L'Instant présent, 142 p., 12 €.
Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, Pédagogies et méthodes pour éduquer à la joie, d'Antonella Verdiani, éd. Actes Sud, 180 p., 22 €.
La Source, école de la confiance, de Jeanne Houlon et Philippe Cibois, éd. Fabert, 198 p., 20,30 €.