La
constitution dit qu’à leur naissance, la société reconnaît que par nature, il y
a une même quantité de liberté et d’égalité donnée à chaque personne. Il y a un
droit de liberté : liberté d’action, d’expression, d’information, de
circulation, de constitution d’une propriété.. Il y a un droit d’égalité :
ce qui est donné par la « société civile » à un autre, doit, par
égalité, m’être donné. Les parts de chacun doivent être égales.
Il y a
une complémentarité entre les droits. J’ai le droit d’étudier. Ce droit
d’étudier doit m’être donné à égalité des autres membres de la société civile.
Si l’un peut aller étudier à l’université, moi aussi, je dois être en mesure
d’aller à l’université. Le critère d’égalité oblige à donner des libertés
égales. Chacun avoir autant de puissance de liberté qu’une autre personne.
Mais il y a d’autres droits que le droit civil. A ma naissance, ma condition sociale me donne d’emblée plus de droit ou moins de droit. Par exemple, né dans une famille riche, je dispose d’un environnement plus favorable à des études qu’un environnement d’un enfant né dans une famille d’ouvrier ou d’employé.
Mais il y a d’autres droits que le droit civil. A ma naissance, ma condition sociale me donne d’emblée plus de droit ou moins de droit. Par exemple, né dans une famille riche, je dispose d’un environnement plus favorable à des études qu’un environnement d’un enfant né dans une famille d’ouvrier ou d’employé.
Au
plan civil, l’égalité des droits d’étudier peut être donnée. Cependant, si en
droit, l’égalité est assurée, le résultat concret est que la liberté d’étudier
est moindre. Donc, il faut que la société prenne en charge une dotation
supplémentaire qui est de nature « sociale ». A l’activité civile, le
gouvernement doit ajouter une activité de gestion de ressources. Comme le
gouvernement ne produit rien, il est obligé de prendre aux plus riches pour
redistribuer aux plus pauvres.
John
Rawls : « La société doit consacrer plus
d'attention aux plus démunis quant à leurs dons naturels. L'idée est de
corriger l'influence des contingences dans le sens de plus d'égalité. Afin de
réaliser ce principe, on pourrait consacrer plus de ressources à l'éducation
des moins intelligents ».
John
Rawls disait de la méritocratie. Sur
cette dernière, il disait : « Ce type
d'ordre social obéit au principe qui ouvre les carrières aux talents, et
utilise l'égalité des chances comme un moyen pour libérer les énergies dans la
poursuite de la prospérité économique et de la domination politique. Il y règne
une disparité marquée entre les classes supérieures et inférieures, à la fois
dans les moyens d'existence et dans les droits et privilèges de l'autorité
institutionnelle ».
Cependant,
est-ce le critère du « social » doit être le seul à compter ?
Cela reviendrait à faire de « la liberté » la finalité de l’ensemble
des activités productrices de ressources.
Au
sein du droit à la liberté, il faut faire intervenir des critères. Le critère
qui est retenu est le critère de « puissance de liberté ». Par nature, certains sont plus puissants que
d’autres. La nature a donné à certaines personnes plus de capacité à l’effort
ou à l’habileté. L’effort est reconnu comme mérite, l’habileté comme talent. Ne
pas leur donner le droit à la puissance de liberté généré par le talent ou le
mérite serait une « inégalité de liberté ». A coté du droit donné à
chacun par la « société civile », à coté du droit inégal donné par la
condition sociale initial, s’ajoute un droit de nature inégal. Par nature,
l’homme est un être doué de plus ou moins de puissance de liberté. Une dotation
de plus de puissance de liberté exige un droit plus important de reconnaissance
des talents et des mérites.
Donc,
c’est de l’exigence d’un droit d’égalité dans la liberté comme puissance
qu’apparaît une redistribution inégale des ressources sociales.
Cependant,
le critère de « puissance de liberté » modifie la notion d’égalité
prise dans le sens d’égalité dans la société civile. Tout comme il y aurait une
distribution inégale des droits sociaux, il y aurait une distribution inégale
des droits de liberté. Certains auraient plus de droit de liberté que d’autres.
Là de nouveau, le gouvernement doit avoir une action de redistribution. Sa
mission : répartir à égalité les parts de réalisation de la liberté.
Certains, par rapport à une petite « puissance de liberté », auraient
« trop de droit de liberté ». D’autres, auraient « pas du
tout » ou « trop peu de droit de liberté.
Comment
cela se concrétise-t-il dans une politique « d’égalité des
chances » ?
Que
veut dire « chance » ? C’est une espérance de succès par rapport
à un échec possible.
Pour
que seul le hasard puisse départager les concurrents, il faut une égalité
parfaite des candidats qui concurrent. La formule « Egaliser les chances »,
suppose qu’il y ait des inégalités initiales. En effet, en matière sociale, les
concurrents n’ont pas tous la même dotation initiale. Ceux qui sont plus riches
auront donc plus d’espérance de succès. « L’égalité des chances »
consisterait à améliorer la dotation des plus pauvres. En matière de liberté,
certains auraient plus de droits que d’autres. « L’égalité des chances »
consisterait à améliorer la dotation des plus « pauvres en capacité de
liberté », pauvreté mesurée par rapport à leur « puissance de
liberté ».
La
dotation peut être initiale, en prenant juste comme critère l’inégalité
sociale. Mais la dotation devrait être ajustée en tenant compte de la preuve
d’une « puissance de liberté ». cette puissance de liberté se voit
dans les différences de résultat des candidats. Est-ce que le résultat est
uniquement lié à la dotation sociale. Non ! Il est lié également à la
capacité de réflexion et de réalisation, et au projet de l’individu. En tant
que personne, dans le domaine des études, chacun a le droit d’être comparé par
rapport à leur mérite et leur talent. L'égalité des chances ne devrait pas
reconnaître seulement les plus pauvres mais aussi bien les riches et les
pauvres. Comme il y a des « pauvres » qui n’ont pas de
« capacité de liberté », il y aurait des « riches » privés
de capacité de liberté.
La « méritocratie »
désigne le gouvernement par les plus méritants. Mais au mérite, il faut ajouter
le talent.
Talent
et mérite vont donc devenir critères de sélection. Talent et mérite sont autant
présents chez les femmes que chez les arabes, chez les vieux que chez les
personnes handicapés. Soutenir le contraire serait discriminatoire. Donc, en
alliant méritocratie et égalité des chances, nous allons à la fois être justes,
en créant une élite diversifiée, bigarrée, et efficaces, en choisissant, pour
nous gouverner, les meilleurs. Justice et efficacité. On retrouve le projet de
la république de Platon d’un système idéal, menant une politique « bonne ».
Dans
la pratique, l'égalité des chances sera l'outil de la méritocratie et de la
reconnaissance des talents.
Aux
critères d’inégalité des chances issue des attributs sociaux (richesse,
culture, âge, sexe,
etc.) s’ajoutent
deux critères : mérite et talent. Ils doivent devenir les deux seuls critères
de discrimination.
« Tout
ce qui empêche chacun de faire valoir ses talents et ses mérites doit être
corrigé. »
N.
Sarkozy. 17 décembre 2008, discours de Palaiseau à l'École Polytechnique.
Si
l'on accepte la logique du raisonnement, on ne peut s'opposer au projet : par
qui veut on être gouvernés si ce n'est pas les plus méritants et les plus
talentueux. Comme le mérite et talent ne sont pas la propriété d'une seule
catégorie sociale, les sélectionnés représenteront mille communautés et
identités. Cela assure un métissage complet qui prenne en compte toutes les
origines et toutes les conditions.
Notons
au passage qu’Internet réalise cet idéal.
Pour
que tout cela fonctionne, encore faut-il que mérite et talent soit compatibles,
qu'ils aillent de pair. En effet, mérite et talent ne sont pas une seule et
même chose. Ils sont même radicalement opposés.
Le talent est une capacité personnelle, une
habileté particulière pour telle ou telle chose. Par exemple on peut aimer la
musique mais n'avoir aucun talent. On peut avoir du talent pour manipuler les
gens mais n'en avoir aucune envie. C'est une qualité individuelle qui consiste
à mobiliser efficacement ses connaissances et compétences, afin d'aboutir à une
production réussie. Cette réussite tient à la fois de l'adéquation entre le
produit et l'exigence externe de production et de la singularité de la création
proposée. C'est savoir obtenir de meilleurs résultats. C'est en effet
comparatif : on n'est talentueux que lorsqu'on arrive à des choses
inaccessibles à d'autres. Des millions de personnes pourraient s'entraîner au sprint
dix heures par jour, des milliers pourraient courir un cent mètres en intégrant
toutes les règles, mais
seuls
quelques uns ont un talent suffisant pour passer sous la barre des dix
secondes. Un talentueux se détecte à ses résultats de qualité.
Le mérite se définit comme un investissement
entier dans le travail, implication où
la
voie de l'effort est délibérément choisie, malgré la difficulté envisageable
que ce choix provoque. Lorsque malgré cette difficulté, ou dans tout type
d'adversité, l'effort est maintenu, le sujet de l'action est dit méritant.
Le
mérite n'a donc absolument rien à voir avec le talent. Le talent évite la
difficulté, le mérite l'affronte. « Faire
aisément ce qui est difficile aux autres, voilà le talent ». (Henri
Frédéric Amiel, Journal Intime, 1978). On pourrait ironiser : faire difficilement
ce que d'autres ne feraient pas, voilà le mérite !
Le
mérite est un jugement sur le travail, mais le talent se juge à l'aune des
résultats. Nicolas Sarkozy opère le bascule des valeurs. Il promeut le résultat
et la volonté.
« C'est le miracle de la République d'avoir
fait éprouver à la France une fascination pour l'égalité et pour le mérite. [ …
Et si l'on est tombé aussi bas, c'est] parce qu'on a cessé depuis trop
longtemps de considérer l'exigence républicaine comme une exigence de résultat.
Il ne s'agit pas d'être jugé à l'aune des intentions, mais aux résultats. Cela
s'appelle le volontarisme républicain ». N. Sarkozy. Discours de Palaiseau.
La
détection du mérite se porte en amont de la production finale, sur l'effort de
production, et la détection du talent en aval, sur le résultat. A la limite,
dans ce raisonnement, plus on a de talent, moins on requiert de mérite pour
arriver au même résultat.
Avec
le projet politique d'un côté, et cette différentiation conceptuelle de
l'autre, il suffit alors d'observer les projets de loi du Gouvernement Sarkozy pour
voir si les méritants sont plus détectés que les talentueux ou l'inverse.
Que
va-t-on détecter chez les jeunes ? Les critères : « une créativité
supérieure », une « capacité à formuler des questions avec acuité et
originalité », à « chercher des réponses avec une audace non conventionnelle ».
La détection scrute la capacité à sortir du lot, et ce, « quel que soit le
domaine de compétences[1]
». Le talent a donc largement sa place. Les concours doivent être organisés
autour de la « détection systématique des talents ». Tout examen se transforme
en concours, l'anonymat est de mise, seul sera jugé... le résultat.
Cela concerne
les concours d'entrée en Classes Préparatoires aux Grandes Écoles, mais aussi les
bilans de compétences à organiser au lycée. Au collège. Au primaire.
Le
boursier est un personnage emblématique dans les discours de Sarkozy et Y.
Sabeg. C’est un jeune précaire qui lutte contre l'adversité pour s'en sortir
dans ses études. C'est la figure du méritant. Qui sont les « boursiers les plus
méritants » ? Ceux qui sont dit méritants par les critères du CROUS lors de
l'attribution des « bourses au mérite » (toujours en vigueur). Quel est cet
unique critère d'obtention d'une bourse au mérite, que Y. Sabeg voulait
reprendre pour détecter les méritants ? Obtenir les meilleurs résultats. Les
termes sont donc totalement confondus.
Être
méritant, c'est être pauvre au départ. Pour N. Sarkozy, le mérite est associé à
une (mal) chance sociale initiale compensée par une volonté de travailler, et
un choix personnel courageux. Pour reconnaître le mérite qu'ont les pauvres
d'être pauvres, on va les enrichir selon le principe de « l’égalité des
chances ».
Quelle
élite voulons-nous ? Qui veut-on à Polytechnique et dans les grandes écoles ?
Qui veut-on voir, dix ans après, nous gouverner ? Les plus méritants ou les
plus talentueux ?
Quelle
serait votre préférence ? Un Président sur talentueux, qui obtient tout ce
qu'il essaie, qui comprend tout du premier coup, qui a une faculté d'analyse
démesurée, qui amène du succès dans tout ce qu'il entreprend, et qui travaille
35 heures / semaine ? Ou un minable besogneux, qui travaille 18h par jour pour
un résultat moyen, petit, laid, pauvre, bête, étranger, vieux, handicapé, mais
qui travaille encore quand tout le monde dort ?
Quelle
serait votre préférence ? Que nos routes départementales soient dessinées
par de durs travailleurs sans talent, nos lois écrites par des stakhanovistes
sans bon sens, notre destin sociétaire déposé entre les mains d'un laborieux
leader sans génie ?
Il est
probablement préférable que nous gouvernent les talentueux, répondons-nous.
Cela se confirme en observant que toutes les sélections se sont toujours
opérées en ce sens. Pour constituer l'élite, dans la sélection des méritants,
nous jugeons la rapidité et l’aisance dans la production des résultats. Nous
sélectionnons les talentueux.
En
effet, la méritocratie élaborée par Y. Sabeg dans cette réforme de la
constitution de l'élitisme pose qu’il existe des talentueux partout, donc tous
les groupes auront des chances égalisées d'être représentés.
La
sélection par les résultats (et non des personnes) équilibrera le mérite le
talent. Cela devrait amener un «
gouvernement des meilleurs ». Et le « gouvernement des meilleurs », ce n'est
pas la définition classique de l'égalité des chances, mais, au sens littéral,
de l'aristocratie.
[1] Le terme de « compétence » est d'ailleurs
utilisé à 35 reprises dans ce Rapport, entouré de « niveau », « qualités », «
talents », « intelligence », « capacités », etc.
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