vendredi 15 février 2013

Homoparentalité : éléments pour un débat


Le mariage homosexuel marie deux personnes de même sexe de la même façon qu’un couple de personnes de sexes différents.

La plupart des sociétés refusent cette possibilité. En France, il n'est pas autorisé par la loi. Une évolution du XXI eme siècle a conduit à la reconnaissance légale par la loi du mariage homosexuel. En 2000 Les Pays-Bas, en 2003, la Belgique, En 2005, l’Espagne, le Canada, la Grande Bretagne.

Les communautés chrétiennes, catholiques, orthodoxes et protestantes n'admettent pas le mariage homosexuel. Aux Pays-Bas, seules quelques paroisses protestantes luthériennes l’acceptent.

Au nom de l'égalité des droits, les clergés chrétiens reconnaissent à tous le droit de se marier. Mais la réalité sociale du mariage, institution traditionnelle pluriséculaire qui structure société, famille et relations interpersonnelles, ne se réduirait pas à la constitution d'un couple, il comporterait deux images essentielles du Dieu créateur : la complémentarité homme-femme et la procréation des enfants.

Récente (1997), l'expression " homoparentalité " désigne l'adoption d'enfants par un couple homosexuel et pas seulement par un des membres du couple. L'homoparentalité suppose souvent, mais pas nécessairement, que la législation reconnaisse le mariage homosexuel.

L'homoparentalité en France n'est pas possible. Un enfant peut être adopté par une personne homosexuelle, mais pas par un couple gays ou lesbiens. Le tribunal de grande instance de Paris a accordé à un couple féminin l’exercice partagé de l’autorité parentale. Aujourd'hui, en France, 30 000 selon Institut National des Études Démographiques ou 200 000 enfants selon l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens sont élevés, pour différentes raisons, par des couples homosexuels gays et lesbiens.

Aux Pays-Bas depuis 2001, en Suède et en Norvège depuis 2002 un couple d'homosexuels peut adopter un enfant. Les Pays-Bas, l’Angleterre, le Pays de Galles, l'Allemagne, permettent à un couple homosexuel de partager l'autorité parentale.

L'Église est opposée à l'adoption d'enfants par un couple homosexuel. les enfants adoptés et élevés par un tel couple sont ils heureux et équilibrés ? Un enfant né de l'union d'un homme et d'une femme aurait besoin d'un père et d'une mère et de leurs images paternelle et maternelle. Le droit à l'enfant ne doit pas l'emporter sur le bien de l'enfant.

Le baptême des enfants d'un couple homosexuel, est possible a condition que les parents s'engagent à donner aux enfants une éducation chrétienne.

Un Séminaire Ecole Normale Supérieure a posé la question : « L’homosexualité du parent est-elle préjudiciable à l’intérêt de l’enfant ? »

Le débat public oppose l’intérêt de l’enfant (ce qui est apprécié par le juge et recouvre des dimensions psychologiques) ou le droit à l’enfant dont se réclameraient les demandeurs homosexuels. Le « droit à l’enfant » (souvent évoqué en rapport avec le droit à une vie familiale) n’a aucune réalité sur le plan juridique. Au nom de quoi poserait-on un « droit à l’enfant » qui supposerait que l’enfant est quelque chose comme un du que la société doit garantir à l’individu ?

En France, les problèmes juridiques autour de l’homoparentalité se manifestent avec l’obligation d’application sans discrimination de la loi sur l’adoption. Les seuls critères légitimes qui doivent être pris en compte dans la procédure d’agrément sont les qualités éducatives du candidat à l’adoption et la qualité de l’environnement qu’il proposera à l’enfant.

L’homosexualité du candidat influera-t-elle négativement sur le cadre d’éducation et de développement qu’il peut offrir à l’enfant ? La loi ne se prononçant pas en ce domaine, c’est aux responsables de la procédure d’agrément, puis en dernier recours (en cas de plainte) au juge de trancher au cas par cas. Mais ils ne peuvent le faire au vu de la situation particulière (les candidats pour lesquels le problème se pose sont ceux qui ont déjà été évalués comme de bons candidats) et le font selon leurs convictions morales, pédagogiques ou politiques.

Donc la question est tranchée par ceux qui n’ont pas de compétence pour le faire, et elle reçoit selon les cas des réponses différentes, donc contradictoires.

Les différentes objections à l’homoparentalité se réclament de normes naturelles ou morales (elle est contre-nature), de l’intérêt de la société (elle ne permet à la société de se reproduire), ou de l’intérêt de l’enfant (elle déséquilibre la psychologie de l’enfant et est dangereuse pour son intégration sociale).

Reconnaître la qualité de la relation d’amour dans un couple homosexuel, amène l'égalité des droits et des devoirs entre les couples hétérosexuels et homosexuels. Puis à les faire rentrer dans le même cadre juridique.

Pierre-Louis Rémy, président du Centre français de protection de l'enfance (CFPE), y voit dans cet enchaînement vers un cadre juridique unique, la source d’une confusion qui fait perdre un repère central auquel ils ne faut pas toucher.

Le pacs aurait porté une première confusion des repères en inscrivant, dans un même dispositif l'union hétérosexuelle et l'union homosexuelle. Le fait d'étendre le mariage à l'union homosexuelle renforcerait cette confusion.

Faut-il, pour répondre au désir d'enfants de couples homosexuels, leur ouvrir le droit à l'adoption plénière, en gommant la référence au père et à la mère, et prendre le risque de bouleverser les repères de la filiation ?

Mettre dans le même cadre juridique l'union homosexuelle et l'union hétérosexuelle conduit à gommer ce repère central : c'est la différenciation sexuelle, homme et femme, qui permet la transmission de la vie. Notre espèce, l'humanité se reproduit, dure, existe par l'union hétérosexuelle. L'enfant ne naît pas seulement de la rencontre d'un spermatozoïde et d'un ovule, mais de la relation d'amour, entre un homme et une femme.

Accepter une filiation par deux parents de même sexe, sur la seule base du « droit à l’enfant » pourrait ouvrir la porte à la procréation médicalement assistée pour les femmes, et le recours à des mères porteuses pour les hommes. L'immense majorité de nos concitoyens récuserait une société où des usines à enfants fourniraient le produit désiré.

On pourrait atteindre l’objectif d'égalité des droits et de reconnaissance de l'engagement dans un couple de même sexe, en créant un cadre juridique distinct de celui du mariage.

Journaliste et docteur en médecine, tenant le blog Journalisme et santé publique sur le site de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Jean-Yves Nau souligne les conséquences de la formule « Mariage pour tous = enfants pour tous »

En France, l’assistance à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) est définie et pratiquée qu’en tant que thérapeutique de la stérilité (ou de l’hypofertilité) d’un couple hétérosexuel. En 1994, le législateur a voulu inscrire ces pratiques dans le champ médical et prévenir toute tentation de dérive procréative (la pratique des mères porteuses ou les banques privées et lucratives de sperme) comme on l’observait depuis plusieurs années déjà dans différents pays, aux Etats-Unis notamment.

La loi dispose que l’assistance médicale à la procréation «s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle». En d’autres termes, il s’agit de toute technique qui permet «la procréation en dehors du processus naturel».



Prise en charge financièrement en intégralité par la solidarité nationale, cette assistance médicale n’est pas ouverte à qui le souhaiterait. «L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination.» L'insémination ou le transfert des embryons ne peuvent plus être réalisés en cas de décès de l’un des membres du couple, d’un dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps, d’une cessation de la communauté de vie.

L’Insémination artificielle avec sperme de donneur (IAD) pallie la stérilité masculine en proposant une insémination artificielle avec le sperme d’un donneur anonyme et non rémunéré. La Grossesse pour autrui (GPA) est, au départ, d’une thérapeutique en miroir de l’IAD; soigner les stérilités féminines en organisant la rencontre des deux cellules sexuelles en dehors du corps de la femme.

Le concept de stérilité-maladie d’un couple hétérosexuel est démédicalisé au nom de la nécessaire égalité entre les couples composés d’un homme et d’une femme et de l’autre les couples composés de deux hommes ou de deux femmes.

Or le principe d’égalité n ‘est pas respecté. Les techniques de PMA sont accessibles aux couples hétérosexuels sans que des derniers soient mariés. Il leur suffit d’apporter «la preuve d’une vie commune pendant deux ans». Pourquoi imposer le mariage aux seuls couples homosexuel(le)s ?

Rien n’impose en pratique aux couples de femmes d’avoir recours à une IAD avec les paillettes de sperme sélectionné pour présenter toutes les garanties possibles d’un point de vue infectieux et génétique. C’est là un avantage par rapport à la conception par les voies naturelles.

La procréation au sein d’un couple de femmes soulève la question de l’existence et de l’identité du père biologique. Le droit à «connaître ses origines» est revendiqué par les partisans du droit offert aux homosexuels de procréer. Or la loi française impose aujourd’hui l’anonymat. Comment le principe d’égalité pourrait-il être ici respecté sans modifier cette loi qui fait de l’anonymat une clef de voûte de tous les échanges biologiques à des fins thérapeutiques?

Les techniques de PMA mises en œuvre dans le cadre de la loi sont aujourd’hui en France prise en charge à 100% par le système de l’assurance maladie. Cette disposition est sous-tendue par le fait qu’il s’agit de traiter une stérilité-maladie. Le principe d’égalité fera-t-il qu’il en ira de même pour les stérilités qui ne peuvent pas être considérées comme des pathologies? Et quelles conséquences plus générales sur ce qui peut ou non être considéré comme une maladie?

Faire jouer le principe d’égalité entre les couples de femmes et d’hommes conduit à soulever la question de la GPA. Issu d’une fécondation réalisée avec le sperme de l’un des deux hommes, l’enfant est «porté» par une mère qui loue son corps.

Ces différentes questions émergent au grand jour, avec le débat sur l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ce alors que la médecine et la science redécouvrent l’importance de la vie intra-utérine. La pédopsychiatre et psychanalyste Caroline Eliacheff juge que le droit d'égalité entre adultes, homosexuels ou non, prend la forme de la satisfaction de leurs désirs individuels, et que cette égalité est en train de transformer les enfants de personnes en objets.

Pour l’essayiste Jacques Attali, la légalisation du mariage entre deux adultes homosexuels s’inscrit dans une évolution commencée depuis très longtemps: après avoir connu d’innombrables formes d’organisations sociales, nous allons vers une humanité unisexe, où les hommes et les femmes seront égaux sur tous les plans, y compris celui de la procréation. Les trois forces y conduisent.

La demande d’égalité, en respectant les différences entre les hommes et les femmes, les hétérosexuels et les homosexuels.

La demande de liberté, séparant de la procréation la sexualité comme plaisir en soi, source de découverte de soi, et de l’autre. Elle conduit à la précarité des relations et des contrats et à l’apologie de la déloyauté.

La demande d’immortalité, poussant à accepter toutes mutations sociales ou scientifiques permettant de lutter contre la mort.

La convergence de ces trois demandes nous emmène vers une humanité unisexe, où une moitié aura des ovocytes et l’autre des spermatozoïdes, mis en commun pour faire naitre des enfants, seul ou à plusieurs, sans relation physique, et sans même que nul ne les porte.

Le vrai danger viendra du clonage et de la matrice artificielle, qui permettront de concevoir et de faire naitre des enfants hors de toute matrice maternelle. Cela résoudrait un frein majeur à l’évolution de l’humanité : le mode de naissance qui limite la taille du cerveau. Si l’enfant naissait d’une matrice artificielle, l’accumulation des connaissances et des capacités cognitives serait illimitée.

L’humanité que nous préparons nous transformerait en une collection d’artefacts producteurs d’artefacts. Au lieu de s’opposer à une évolution du mariage laïc, les Eglises devraient se préoccuper de réfléchir, avec les laïcs, à "comment faire de l’amour et de l’altruisme le vrai moteur de l’Histoire ?".

jeudi 7 février 2013

Pensée et langage


Le langage trahit-il la pensée ?

Analyse du sujet et problématique

Le langage est traditionnellement considéré comme l'instrument privilégié qui permet, à l'oral comme à l'écrit, mais également à travers le langage mathématique ou le langage des gestes, de traduire la pensée. En grec, le logos signifie d'ailleurs à la fois pensée rationnelle et langage.

Il arrive toutefois, dans certaines circonstances, que ce que nous disons ne corresponde pas à ce que nous pensons réellement : incapacité à bien formuler sa pensée, difficulté à transmettre les nuances de la pensée, ou encore lapsus révélateurs, balbutiements et autres problèmes d'élocution qui viennent « brouiller le message ». Il est également courant de trahir la pensée des autres ou d'être victime d'une trahison de sa pensée par autrui. Ainsi dit-on que le langage trahit  la pensée.

Faut-il opposer le langage, caractérisé par ses aspects sensibles, sa logique propre, sa pluralité, à la pureté rationnelle et universelle de la pensée ? L'hypothèse est la suivante : parce qu'il appartient à une autre sphère que la pensée abstraite, le langage, par essence, serait en décalage avec elle. On ne pourrait jamais vraiment bien dire ce qu'on pense, ni comprendre totalement ce qu'autrui veut dire. Ceci paraîtrait désespérant, puisqu'on ne pourrait jamais vraiment formuler des vérités ni communiquer totalement avec les autres.

Mais tout dépend ici de ce que l'on entend par « trahir » : manquer à quelque chose que l'on devait observer (trahir sa parole), tromper (trahir quelqu'un), ou encore révéler (comme une rougeur trahit le trouble). 

Ainsi la différence entre pensée et langage peut-elle être considérée selon deux points de vue.  Soit comme un défaut de correspondance à réparer. Soit comme le point de départ d'un travail de reformulation d'une expression spontanée, où la pensée comme intuition joue le rôle d'un aiguillon pour plus de clarté et de partage avec autrui.

PLAN POSSIBLE

Le langage, sauf exceptions, ne trahit pas la pensée

Point de départ : le sens commun concevant le langage comme l'outil propre à traduire la pensée, les potentielles trahisons du langage ne sont que des erreurs de transmission que l'on peut réparer par un meilleur usage de la raison et du langage

La transparence du langage à la pensée rend impossibles les trahisons.

« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » écrit Boileau au 17e siècle. Si nos pensées sont claires et précises, leur expression dans le langage le sera également. Si nos idées, en revanche, sont confuses, embrouillées, ampoulées ou absurde, le langage les transmettra telles quelles. Un langage limpide reflète une pensée rigoureuse (comme dans une bonne dissertation), tandis qu'un jargon incompréhensible mettre en évidence une réflexion obscure et inaboutie.

Référence. Le classicisme du 17e siècle (Boileau, Malherbe, La Fontaine, Racine…).

La transparence du langage à la pensée, un travail perpétuel

Reste que le langage, comme la pensée, se travaillent pour gagner en évidence. René Descartes, qui trouve que le style des penseurs scholastiques (interprètes médiévaux d'Aristote) est aussi obscur que leurs conceptions de l'âme, du corps, du monde ou de Dieu, s'applique à élaborer une méthode de réflexion mais également un art d'écrire. Il lui faut établir de nouvelles définitions des concepts traditionnels de la métaphysique, être accessible à tous, allier l'élégance et la clarté dans l'écriture. Si Descartes propose plusieurs versions de sa nouvelle philosophie (Discours de la méthode, Méditations métaphysiques, Principes de la philosophie), c'est qu'il réélabore sa pensée pour la rendre toujours plus claire.

Référence. Descartes, Discours de la méthode.

Des trahisons inévitables ?

Mais si le philosophe réélabore son langage, c'est que la transparence du langage à la pensée n'a rien d'évident. Le philosophe écossais David Hume a ainsi publié un Traité de la nature humaine qui n'a connu aucun succès à cause de la difficulté de son langage. Hume a ensuite décidé de donner des versions plus claires de sa philosophie empiriste. C'est donc que son Traité trahissait, en tout cas obscurcissait, sa pensée, et qu'il a pu en donner une meilleure traduction langagière.
En réalité les trahisons, même temporaires, semblent inévitables. Une intuition philosophique peut prendre beaucoup de temps avant d'être exposée de manière adéquate. Il existe donc toujours un certain décalage entre une pensée et son expression parfaite. C'est bien pour cette raison que le travail sur le langage — orthographe, grammaire, style — est souvent aussi important que la rigueur de la pensée. C'est encore le cas pour une dissertation réussie.
Référence. Hume, début de l'Enquête sur l'entendement humain

Mettre en correspondance pensée et langage

Si le langage n'est pas toujours « en phase » avec la pensée, c'est au fond parce qu'on ne les travaille pas de la même manière. Le travail de la pensée est abstrait, tandis que l'attention à la langue porte sur des réalités emplies de sens parfois différents, sur des mots qui ont une histoire et diverses connotations. Il faut donc bien examiner une trahison plus essentielle de la pensée par le langage.

Le langage trahit fondamentalement la pensée

Parce que les idées n'ont pas la même nature que les mots, leurs univers ne peuvent jamais totalement coïncider.

Une pensée, des langages
La meilleure preuve de la trahison de la pensée par le langage est la multiplicité des langages. Non seulement il existe divers types de langage — on peut exprimer l'amour par des descriptions, des poèmes, des gestes, voire des équations mathématiques décrivant les processus cérébraux engagés —, mais il y a également diverses langues. Or, en passant d'une langue à une autre, à cause de différences irréductibles entre elles, la pensée initiale d'un auteur est nécessairement trahie. Cette trahison peut être dommageable — elle est parfois une richesse, signe de la réappropriation d'une pensée par une culture différente.

Pensée abstraite, langage vivant

En outre, le langage s'exprime par une matérialité — la voix humaine ou l'écriture — qui diffèrent par essence de l'abstraction de la pensée. En cela, et de manière irrémédiable, ce passage trahit la pensée initiale — qui n'était que pensée. La théorie de Platon sur la démocratie peut ainsi être exprimée par une voix polémique, haineuse, lucide, désespérée. Elle peut être expliquée de diverses manières, qui à chaque fois trahiront la pensée initiale de l'auteur.
Référence. Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, chap.. VI, « Le corps comme expression et la parole »

Interpréter, c'est trahir
Au fond, le langage est toujours une interprétation de la pensée — de celles des autres, qui se donne par le langage, bien sûr, mais également de la sienne. Outre la question de la diversité des langues et de l'aspect concret du langage, le mise en forme de la pensée suit des règles grammaticales qui ne sont pas nécessairement celles de la pensée logique, et ne peut s'empêcher d'y adjoindre un point de vue, même implicite.

La pensée comme modèle utile à la reformulation des expressions spontanées

Au fond, la pensée pure n'existe pas. Si elle n'apparaît que dans sa "trahison langagière", il faut alors considérer les désaccords entre langage et pensée du point de vue du langage. La pensée se construirait à partir du langage. La pensée serait comme un modèle permettant de passer d'une formulation "brute" à une formulation plus claire


Le langage révèle nos désirs inconscients

Freud a montré que les lapsus, les associations verbales non contrôlées, les récits de rêves ou de notre enfance, trahissent des désirs inconscients refoulés. Ainsi le langage, lorsqu'il échappe à la maîtrise de la pensée consciente, révèle des vérités fondamentales sur nous-mêmes.


Référence. Freud, Introduction à la psychanalyse

Le langage littéraire révèle des pensées nouvelles

Le travail sur l'écriture, dans la littérature, permet de faire naître des idées nouvelles du langage lui-même. La tâche d'un poète ou d'un bon romancier, mais également d'un styliste de la philosophie comme Bergson ou Merleau-Ponty consiste à non seulement transmettre mais également produire de la pensée à travers l'écriture. Le langage, loin de n'être qu'un outil permettant la traduction de la pensée, en est plutôt le lieu d'apparition, ou d'incarnation.

La trahison de la pensée par le langage, essence de la pensée

La pensée n'existe en définitive que dans son dialogue « traître » avec le langage. Elle est critiquée par un langage formel comme la logique, dans une réélaboration constante. Elle est incarnée dans le corps parlant et gesticulant du locuteur. Elle est réinventée dans une écriture sophistiquée. A chaque langage correspond ainsi une réinvention créatrice de la pensée.